Reproduction d'un chapitre de « Voyage botanique en Corse » par M. R. de Litardière publié dans le bulletin de l'académie internationale de géographie botanique



Vallée du torrent de Taita
(Bassin supérieur du Fango)
(23 juillet 1908)


L'exploration de la vallée du torrent de Taita dans le bassin supérieur du Fango occupa notre journée du 23.
La route, après avoir rejoint celle de Calvi à Ajaccio près du pont du Fango, remonte la rive gauche de la rivière au milieu de grands maquis composés de Juniperus oxycedrus L., Pistacia Lentiscus L., Erica arborea L., Arbutus Unedo L., Phyllirea media L. et angustifolia L., avec quelques pieds de *Cirsium lanceolatum Hill var. longespinosum Tod. (1) ; elle traverse ensuite la lisière de la forêt de Treccia, formée de superbes chênes verts. Sur les talus nous recueillons : Selaginella denticulata Koch et Crepis bellidifolia Lois. Prol. C. decumbens (G.G.).
On laisse à gauche le sentier muletier qui mène au hameau de Manso, qui n'a seulement que trois maisons, la seule commune du bassin supérieur du Fango. Près de là, aux « habitations» de Barjiana, nous quittons la route qui conduit au Col de Capronale et nous nous engageons avec un guide, que nous recrutons, dans la vallée du torrent de Taita qui descend de la Mufrella (2148m).
Aux noyers et aux châtaigniers font bientôt suite quelques pins, avant-coureurs de la forêt de Filosorma qui autrefois couvrait toutes ces pentes et maintenant, dévastée par la dent des troupeaux et le feu des bergers, a reculé de plus en plus vers le fond de la vallée.
Sur le bord du torrent jusqu'à la fontaine de Candela, nous récoltons :
               Alnus cordata (Lois.) Desf.
               Euphorbia semiperfoliata Viv.
               Mentha insularis Req.
               Teucrium flavum L.
               Teucrium Massiliense L.
               Teucrium capitatum L.
               Teucrium Marum L.
               Galium ovalifolium Schott (G. ellipticum Willd.)
               Eupatorium cannabinum L. Prol. E. Corsicum (Req.) Rouy.

Nous ne pouvions songer à parvenir dans la région élevée, le temps nous manquait et la course aurait été fort pénible, car pour atteindre seulement les bergeries de Taita (1415m) il nous fallait encore gravir environ 900 mètres, par une chaleur qui s'annonçait comme devant devenir accablante dans le resserrement de la gorge. Nous nous contentons donc d'explorer les rives du torrent ainsi que les alentours, ce qui nous procure :
               Athyrium Filix-femina (L.) Roth. var. fissidens Dœll.
               Blechnum Spicant (L.) Sm.
               Asplenium lanceolalum Huds.
               Phegopteris polypodioides Fée
               Aspidium monyanum Asch. (A. Oreopteris Sw.)
               Aspidium Filix-mas(L.) Sw. var. glandulosum Milde
               Osmunda regalis L.
               Arenaria Balearica L.
               Ruta Corsica DC.
               Erica multicaulis Salisb.

Dans les eaux vives nous apercevions parfois, filant comme des flèches, quelques truites effrayées par notre approche. Il nous vint alors à l'idée d'organiser une pêche, que nous pensions devoir être fructueuse. Notre guide se mit à la recherche d'un filet, qu'il n'eut pas de peine à trouver, car les bergers en possèdent presque tous et la « maison » de Candela, située non loin de là, ne faisait pas exception à la règle.
En moins d'une heure nous avions capturé une vingtaine de truites, dont quelques-unes fort belles.
Il était bientôt midi et nous songions à faire honneur à nos provisions, lorsque j'émis l'avis qu'un plat supplémentaire consistant en une friture ne déparerait pas notre menu. Le guide courut aussitôt à Candela et en revint avec une poêle pleine d'excellente huile d'olive. Sur le bord même du torrent, nous organisâmes un foyer avec de gros cailloux roulés et, pendant que l'un ramasse des branchages morts, l'autre prépare les jolis poissons aux reflets d'or et d'argent, aux mouchetures noires et orangées. Bientôt sur un feu vif d'arbousier et de bruyère les truites de la Taita se doraient en répandant un parfum exquis...
La botanique en était un peu oubliée, mais on n'est pas tous les jours à même de faire semblable festin !

(1) Les plantes dont le nom est précédé d'un astérisque n'ont pas encore, à notre connaissance, été signalées en Corse.

Liens vers les scans originaux : page 47 ; page 48 ; page 49, sur le site de la librairie digitale du jardin botanique de Madrid