Mes relations avec les hommes


                Je ne me rappelle pas quel est le premier homme qui a réussi à me conquérir ; était-ce il y a plusieurs siècles, plusieurs millénaires voire plusieurs dizaines de milliers d'années ? En tout cas, des vestiges : menhirs, dolmens, et autres dalles témoignent de la présence de l'homme sur l'île il y a plus de trois mille ans. Je suis persuadée que moi et mon voisin Tafonatu sont tellement remarquables, que parmi les premiers habitants de la Corse, certains n'ont pas su nous résister... Il n'y avait alors pas de route, et il fallait plusieurs jours pour arriver à m'approcher à partir de la côte. Ainsi, d'un lieu nommé aujourd'hui Galéria, certains ont sans doute remonté le Fango, la rivière de Cavicchia, et enfin le ruisseau de Laoscella, pour atteindre le col des Maures.
                Les premiers hommes dont je me souvienne réellement sont des gens du pays, et des topographes : ils m'ont escaladée au dix-huitième siècle, en empruntant déjà ce qui est aujourd'hui appelé la "voie normale" par les alpinistes. A partir de ce jour là, de plus en plus d'hommes sont venus me gravir. Jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle j'avais d'ailleurs plus de succès que Monte Cinto, car les hommes ne savaient pas que c'était lui, le plus grand en Corse ! On retrouve des témognages de visiteurs au début du XX siècle : Voici par exemple le récit de M. R. de Litardière, un botaniste qui est venu cueillir quelques éspèces végétales sur mes flancs en 1908... On y apprend que des bergers m'appelaient aussi Capo Torto !
               Depuis que le refuge Ciottulu di I Mori a été construit vers 1980, et que le GR20 passe à mes pieds, je me sens bien moins isolée et quelques hommes me fréquentent presque chaque belle journée d'été, mais rassurez-vous, on ne se bouscule pas trop sur mon sommet ! Si vous êtes tentés, voici un comparatif établi par Georges des difficultés de certaines voies d'accès à mon sommet, ainsi qu'au sommet et au trou de Tafonatu, mon concurrent... Ci ces voies vous paraissent hors de portée, d'autres sommets faciles vous attendent aux alentours ; je vous conseille Capu Ghiarghiole, jetez donc un œil ici pour voir le panorama...

Classement de la voie la moins exposée à la voie la plus exposée (en fonction de la proximité du vide ; à lier à un pied sûr et à la sensibilité au vertige)
1 : Le trou du Tafonatu par la voie de l'oncle Chrisolo (la moins exposée, mais à éviter en cas de risque de pluie, passages de quelques dalles inclinées)
2 : Le sommet de Paglia Orba par les cheminées de Foggiale (moins aérienne que la voie normale)
3 : Le sommet de Paglia Orba par la voie normale (notamment une petite vire esposée qui peut être évitée par un passage plus technique)
4 : Du trou du Tafonatu au sommet (plus impressionnante mais sans doute moins exposée que la voie normale pour le trou)
5 : Le trou du Tafonatu par la voie normale (faire d'autant plus attention que cet itinéraire est très fréquenté)

Classement de la voie la plus facile à la plus difficile techniquement (en fonction des passages sur rochers, couloirs, parois ou cheminées fortement inclinés ; à lier à une certaine aisance et habileté)
1 : Le trou du Tafonatu par la voie de l'oncle Chrisolo (pas de réelle difficulé technique)
2 : Le trou du Tafonatu par la voie normale (attention toutefois, c'est la voie la plus exposée)
3 : Le sommet de Paglia Orba par la voie normale (un couloir cheminée avant le sommet ouest)
4 : Du trou du Tafonatu au sommet (un couloir cheminée d'une bonne dizaine de mètres de haut)
5 : Le sommet de Paglia Orba par les cheminées de Foggiale (seconde cheminée longue et impressionnante pour un non alpiniste)

Téléchargez ciottulu.gpx, la trace GPS de ces itinéraires. Attention, à proximité immédiate des parois verticales, la position GPS est très instable et peu fiable.
Pour l'utilisation du fichier, notamment avec Google Earth, voir la page conseils.

Les voies d'accès, image Google Earth


                Les hommes m'ont bien préservée, moi-même tout comme mon entourage, et la première route est suffisamment lointaine pour éviter les foules. Leurs habitations se limitent à une petite bergerie, le long du Golo, et au refuge bien plus récemment. Il y en a bien qui plantent leur tente en d'autres endroits, bien sympathiques en général, y compris sur mon sommet, mais ils ne restent jamais bien longtemps, et j'ai remarqué que d'autres hommes sont chargés de les chasser et de les faire payer... En été, ils sont parfois une centaine qui se bousculent au refuge et à ses alentours, et il ne leur est pas toujours facile de prendre leur douche...
                Mais, ces mêmes hommes, souvent ils préfèrent se résoudre à m'admirer, et reprennent leur chemin sur le GR20 le plus vite possible... pourtant, ils devraient savoir qu'on ne se bouscule jamais sur mon sommet, et qu'en une petite demi-journée, à partir du refuge, j'offre la plus extraordinaire possibilité d'ascension de l'ensemble du parcours du GR20.

Zoom du refuge Ciottulu Di I Mori (Cliquez pour voir la photo dans son ensemble) Un des nombreux Cairns (Cliquez pour voir la photo dans son ensemble)


                Je suis ravie que les hommes n'aient pas peint mes flancs avec ces petits symboles rouges et blancs ou jaunes pour les aider à trouver leur chemin : ils ont préféré construire des tas de pierre qu'ils appellent des cairns : c'est bien plus agréable, n'est-ce pas ? Et puis les cairns, ils y en a qui disparaissent, d'autres qui apparaissent au gré de l'imagination de certains randonneurs, surtout les plus petits, ce qui rend le jeu de mon ascension bien plus amusant, non ?

                Parmi les hommes qui me fréquentent, il y a en a quelques-uns qui recherchent d'autres émotions, et qui adorent m'escalader par mes parois les plus hautes et les plus verticales, et de ce côté-là aussi, je suis mieux pourvue que mes voisins : certains spécialistes disent que mes faces nord et nord-ouest sont les plus belles et les plus difficiles voies d'escalade de toute la Corse. Ces alpinistes comme on les appelle sont même obligés de planter sur mes parois des objets bizarres, avec de drôles de noms, pour pouvoir s'accrocher à mes flancs.
                Je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques noms de ces voies dont vous pouvez trouver les descriptions dans "Le guide des montagnes corses" de Michel Fabrikant (Didier Richard) : La Cheminée d'hiver ; Les cheminées De Foggiale ; La Voie Finch, voir cette vidéo ; La voie du Nid d'Aigle. Même pour faire mon tour, il faut compter 6 heures, et les alpinistes y trouveront quelques petites difficultés.





                Encore plus bizarre, depuis quelques dizaines d'années, les hommes se sont mis à jouer aux oiseaux, et il arrive, c'est encore rare, que des planeurs ou des parapentes viennent me frôler parfois pendant plusieurs heures... il y en a d'autres qui viennent tourner autour de moi avec des machines très bruyantes comme celle qui a pris les photos ci-dessus, mais ceux-là, ils ne restent jamais bien longtemps... Et surtout je vois tous les jours plusieurs énormes machines remplies parfois de centaines de personnes ; mais elles, elles restent bien plus haut, et à distance respectable. Pourquoi ne font-elles jamais un tour autour de moi pour m'admirer ? Elles vont tellement vite et semblent si pressées... Elles doivent avoir d'autres préoccupations bien plus passionnantes !





                Et certaines années, les hommes dans ces machines volantes peuvent constater que la neige se prélasse à mes pieds et orne mes vires et celles de mon voisin troué jusqu'au mois de juin... Il y a de quoi réserver quelques surprises aux visiteurs terrestres qui viennent passer leur nuit au refuge de Ciottulu di i Mori, en leur ruinant alors tout espoir de venir découvrir mon sommet ou le trou de mon voisin... Mais ils profiteront en contrepartie d'un spectacle encore plus exceptionnel, avec ces contrastes entre la neige et mes rochers rouge-sombres !


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