Ma préhistoire et mon anatomie



                Née lors du plissement hercynien à la fin de l'è primaire, il y a 300 millions d'années, se sont donc les insectes qui furent les premiers à pouvoir m'admirer. J'ai heureusement été bien rajeunie, il y a quelque 50 millions d'années, lors de la naissance des Alpes et des premiers mammifères.
                A l'ère quaternaire, les glaciations ont fortement remodelé le paysage sur mes flancs orientaux. Les vallées supérieures du Golo au sud, du Viro à l'est ou de l'Asco un peu plus au nord étaient alors recouvertes par de superbes glaciers. Ces derniers les ont bien rabotées et elles sont devenues dès lors assez faciles d'accès dans leur partie supérieure.
                A une altitude plus basse, ces vallées n'ont pas été attaquées par les glaciers et sont donc restées bien sauvages : allez donc parcourir les gorges de l'Asco ou la Scala Santa Régina le long du Golo... vous comprendrez ce que je veux dire. En revanche les glaciers ont très peu érodé les vallées sur mes flancs occidentaux, protégés par la relative douceur des vents d'ouest dominants : elles ont donc su garder leur caractère sauvage et grandiose.

                Pour vous, j'ai l'air bien immobile, mais nous ne connaissons pas du tout la même échelle de temps. En effet, vieille de 300 millions d'années, pour moi, une année, c'est comme dix secondes pour vous.
                Si on avait bien voulu me filmer depuis ma naissance, à raison d'une image tous les 1000 ans, trois heures de spectacle vous attendraient, et croyez-moi, vous n'auriez pas le temps de vous ennuyer : rien que durant la dernière minute du film, vous verriez à quatre reprises les glaciers raboter mes flancs est !
                Je crois que vous seriez réellement surpris de voir comment, moi et mon village ont changé depuis ma naissance, d'ailleurs tout comme vous et votre village, depuis votre naissance...
                Qu'on me regarde du nord, du sud de l'est ou de l'ouest, mes parois sont imposantes, et souvent verticales sur une hauteur de près de 500 mètres. J'ai bien quelques faiblesses vers Tafonatu, et c'est par là d'ailleurs que les randonneurs arrivent à me conquérir, par ma cime Sud-Ouest un peu moins élevée (2425m).
                Mon arête dorsale est assez originale : elle est relativement plate, large d'une centaine de mètre, et s'élève progressivement sur une longueur de plus de 600 mètres vers mon sommet principal au nord-est. Entre les deux sommets, la combe des chèvres me donne cet aspect si caractéristique, avec ma brèche bien profonde.

                Je suis surtout constituée de porphyres, ces roches magmatiques à grands cristaux de feldspath (alias aluminosilicate de potassium ou de calcium), de rhyolites, ces roches volcaniques acides composée de quartz et également de feldspath, et enfin de poudingue, cette roche sédimentaire formée de conglomérats de cailloux arrondis résultant de la désagrégation de roches encore plus anciennes.
                Ma peau, d'un beau rouge sombre, par la grâce de mes oxydes de fer, est presque partout d'une dureté remarquable, et elle présente un aspect très original avec ces nombreux conglomérats cristallisés, et ses cavités en nid d'abeille ou en forme de trou de gruyère : leur diamètre va de quelques millimètres à plusieurs dizaines de centimètres.

                Ma peau est ferme, mais croyez-moi, mes entrailles sont tout aussi solides : comme, en plus je suis un peu plus massive que mes rares voisins plus grands que moi, je crois bien que d'ici quelques millions d'années, je leur ravirai le titre de point culminant de mon village corse. Je connaîtrai alors mes heures de gloire !


Mes relations avec les hommes