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On ne change pas une équipe qui gagne.... Et nous voici repartis en 2008 pour réaliser le rêve qui nous avait échappé de si peu l'an dernier voir la page Cap sur Andatone, parcourir ces vires mythiques (Tafonatu et Andatone), qui, à elle deux, constituent un fabuleux chemin de ronde d'environ 4 km au pied du célébrissime œil du Tafonatu, dans un environnement de ravins, brèches et jardins suspendus où seuls les mouflons ont le droit de s'ébattre. Mais nous avions quelques atouts en poche : d'abord notre expérience relativement récente, et puis notre guide éclaireur Philippe, qui avait à l'automne dernier poussé quelques reconnaissances utiles, voire indispensables, en remontant les traces cairnées depuis le couvent Sainte Marie, quelque mille mètres en contrebas, et en réussissant, après quelques escalades bien senties, à déboucher sur notre passerelle. Le hic, c'était que cet accès, praticable par un trekkeur de haut niveau, alpiniste et légèrement équipé, ne l'était raisonnablement pas par une équipe de neuf personnes, certes vaillantes, mais moins entraînées et chargées d'un sac prévu pour cinq jours de trek. Il fallait donc trouver un autre chemin, ce qui donna lieu à de nombreux échanges, aussi passionnés que documentés, dans le blog « Corse Sauvage » de Philippe. En fait, les vires devaient être le morceau de choix central d'une randonnée plus longue qui devait, en cinq jours, nous mener d'Ota à Bonifatu, via Puscaghja, Laoscella, et la bergerie de atteinte en remontant le vallon de la Sposata, que Daniel, dit le Crapahuteur, se rappelait avoir descendu, non sans mal, en une journée. Le remonter, chargés comme nous l'étions ? Nous ne doutions de rien, mais le temps, qui est galant homme, fera en sorte de nous rendre plus raisonnables... L'équipe n'était pas rigoureusement identique à celle de 2007 ; je la présente brièvement : - Philippe, notre mentor (je n'ose pas dire guide, sinon l'on va penser qu'il travaille au noir !), toujours dans une forme physique et mentale olympique, - Le C.W. (clan Welterlin) comprenant Georges, toujours partant pour « encore plus », Sophie sa tendre épouse, Elisabeth sa sœur et Serge, le mari d'icelle, et, sans lien familial, mais collègue de bureau, Arnaud, - Daniel, susnommé, un Gènevois visiblement familier des pentes raides, - Eckard, vétéran du groupe, et aussi de la vire qu'il avait parcourue dans des temps déjà anciens, - François, votre serviteur, familier des collines provençales, mais moins des sombres montagnes. Manquaient donc par rapport à l'an dernier, Matthieu, retenu par ses obligations de père de (jeune) famille, Caro et Victor, qui ne pouvaient se libérer cette semaine. En route donc pour nos cinq journées ! |
C'était, pour beaucoup d'entre nous, le premier jour de marche en Corse ; nous nous étions retrouvés la veille chez Marie, l'un des gîtes d'Ota. Philippe nous rejoignait de Galeria, où il était en villégiature, le matin même ; vu la distance, le profil de la route, et malgré ses talents de rallyman, nous ne pouvions partir aux aurores. Deux groupes se constituèrent : le premier, souhaitant une mise en jambes progressive, et profitant de la présence de Nicole, la femme de Philippe, chauffeur bénévole, partit d'Aïtone, pour gagner Puscaghja par le col de Cuccavera : cela faisait économiser quelque 700 m de dénivelé et plusieurs km par rapport au trajet du deuxième groupe, qui parcourait l'intégrale du sentier passant par Casa Infurcata. : inutile de dire que ce dernier arriva passablement fourbu au refuge ; il faisait chaud, et malgré un bain revigorant dans la Lonca juste avant sa traversée, le sentier était long et loin d ‘être en montée régulière ; de plus un mauvais positionnement d' IGN du départ du dernier tronçon sur la piste montant de San Leonardo nous retarda d'une bonne demi-heure : comme quoi, trop d'information peut nuire, sans GPS, nous n'aurions sans doute rien remarqué... Mais quel bonheur de se retrouver à Puscaghja, profitant de la Lonca toute naissante, de cette immense paix, et de l'accueil exceptionnel du gardien du refuge, Doumé Flori ; il nous avait préparé un dîner reconstituant autour d'une table qui pour la première fois, nous rassemblait tous (Daniel nous y avait rejoints). Les langues et les fourchettes allaient bon train, et Doumé est le type de gardien qui connaît et aime sa montagne, et sait prodiguer les conseils avec intelligence et discrétion. Compte tenu de notre programme et de notre objectif principal, la vire de l'Andatone, il nous déconseilla de monter directement par le vallon de la Lonca, cheminement raide et compliqué. Pas besoin de berceuse ce soir-là ; les irréductibles des bivouacs passèrent la nuit sous la tente ou à la belle, les « bourgeois » (François et Arnaud) préférant le mol confort des matelas du dortoir, au demeurant quasiment vide. |
A vrai dire, le programme n'était pas fixé : tout dépendrait de la facilité avec laquelle nous trouverions les cheminements pour nous rendre sur l'Andatone ; pour cela, nous devions gagner la crête de Garghiole, et descendre « au mieux » pour trouver le sentier qui, cheminant sous la face W du Tafonatu, nous permettrait d'atteindre la vire, objet de nos convoitises. Petit déjeuner vers 7 h, départ un peu avant 8. Nous commençons à gravir les pentes de la bocca di Gagnerola : le sentier monte régulièrement, il a été superbement remis en état par le Parc comme tronçon du « sentier de la transhumance » qui relie Tuvarelli à Albertacce. Mais il faut bien les avaler, ces 750 m ! Les groupes s'étagent un peu, chacun souffle à son rythme. Pas très loin du col, nous croisons une randonneuse rencontrée hier au refuge, venant de remonter le vallon de la haute-Lonca (ce que nous voulions faire initialement), parcourir le flanc de crête sous le Capu di Gagnerola, et qui entamait sa descente pour terminer sa « petite » boucle du matin ! Je précise qu'elle était retraitée ... mais Doumé nous avait confié la veille qu'elle était super-entraînée. Nous parcourons en sens inverse le trajet de notre marathonienne des cîmes, pour nous retrouver sur le GR 20, à la cote 1881. Comme l'heure du déjeuner est proche, et que Philippe souhaite obtenir une info météo, nous rallions le refuge de Ciottulu pour casser la croûte. Philippe entre à l'intérieur pour s'enquérir auprès du gardien de l'évolution du temps, et à la question « Quel est votre programme ? » indique innocemment qu'il souhaite avec son groupe bivouaquer sur la vire du Tafonatu. Que n'avait-il pas dit ! « Le bivouac dans les limites du Parc sont interdites, on ira vous déloger, vous dresser contravention... » et autres amabilités. C'est la douche froide après l'accueil chaleureux de Doumé. Nous continuons à pique-niquer dehors, sous l'œil peu amène du gardien et de ses acolytes. Puis nous nous éclipsons aussi discrètement que possible vers notre destinée, à savoir la crête de Ghiarghiole. Il fallait trouver le cheminement ; Doumé avait recommandé de pousser jusqu'à la pointe Silvestriccia, et d 'entamer la descente juste avant ; plutôt que d'engager toute la troupe et son barda dans des reconnaissances hasardeuses, l'équipe de voltigeurs de pointe (Philippe et Daniel) part en exploration, revient 1 h 30 après, peu convaincue : nous les attendions, blottis dans une petite brèche, au-dessus d'une pente raide, mais sans obstacle majeur apparent ; nouvelle reconnaissance, au cours de laquelle Philippe manque de se faire assommer par une pierre, écraser un orteil par une autre... mais avec plus de succès, car Eckard semble avoir trouvé un passage praticable. Il est 17 heures, la brume envahit la montagne ; certains téméraires proposent de commencer la descente tout de suite. Je proteste vigoureusement, et finalement, nous retournons au refuge pour y passer la nuit, et partir en forme au petit matin. Vu l'ambiance, seuls les « bourgeois » vont dormir à l'intérieur. Je suis surpris, car contrairement à mes craintes, le refuge est loin d'être bondé, ce qui semble confirmer que la première quinzaine de juillet est une période favorable pour le GR 20. |
Ce soir-là il y en avait qui était encore suffisamment motivé pour faire du rab : Georges, et Elisabeth sont rentrés à Ciottulu après les autres : ils ont fait un tout petit détour par le sommet de Capu Ghiarghiole (2105m), histoire de rajouter un sommet à leur palmarès, et de ramener quelques photos... Puis bien plus tard, après le montage de leur tentes, les mêmes accompagnés d'Arnaud ont voulu monter au trou du Tafonatu… Ils se sont arrêtés au col des Maures : en effet, le soleil commençait à être bien bas sur l'horizon et au moins deux sur trois avaient quelques craintes (partagées par leurs compagnons restés à Ciottulu) de se faire surprendre par la nuit sur la vire menant au trou ! |
Nous partons vers huit heures, gagnons notre brèche, nous engageons dans le passage repéré par Eckard, et entamons courageusement la descente ; un ressaut est franchi par une petite cheminée inclinée, et après une percée héroïque dans les aulnes, nous parvenons au bout de deux bonnes heures sur le sentier cairné, provenant de la pointe Silvestriccia, que nous avait indiqué Doumé : sauvés ! La suite est physique, mais sans inquiétude ; nous atteignons vers midi un torrent qui provient du Tafonatu en creusant un vaste tunnel dans le névé qui subsiste : impressionnant, on se prend pour Jonas à l'intérieur de sa baleine ! Nous remontons un peu, trouvons une aire spacieuse ( !) de bivouac, et nous y installons, bien décidés, comme la météo semble verrouillée sur le beau, à y passer la nuit. |
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C'est le grand jour, le couronnement de tant d'efforts, de notre tentative avortée de l'an dernier, et des innombrables reconnaissances de Philippe. La vire, cela fait longtemps que nous la voyons, et là, véritablement, elle nous tend les bras, prolongement naturel de la vire du Tafonatu ; nous grimpons joyeusement les 150 m environ de dénivelé qui nous en séparent ; au passage, Philippe nous fait contempler de haut les différents lieux de ses exploits en solo depuis le couvent Sainte Marie : impressionnant, mais Nicole, fais un peu gaffe à ton homme ! Et puis vers 10 heures, instant magique, chacun retient son souffle (d'autant que les premiers pas sont sur une dalle humide, glissante et un peu exposée) : pour un peu, nous ôterions nos chaussures ! L'endroit est sauvage à souhait, en contrebas, la vallée du haut Fango dans des chaos de rochers sans ordre apparent, en face, la crête de Ghiarghiole d'où nous sommes descendus hier par un cheminement qui, de loin, n'a rien d'évident ; et là-haut, l'œil du Tafonatu qui nous surveille comme celui du Mordor dans le Seigneur des Anneaux. Nous cheminons sans difficulté, la vire est à peu près horizontale, suffisamment large pour qu'aucun passage ne soit vertigineux ; elle a un vague profil de Finistère qui aurait perdu sa presqu'île de Crozon ; à la « pointe du Raz », corne sud, changement de direction, nous entamons le tour de cette demi-ellipse axée est-ouest, nous retrouvons à la « pointe St Matthieu », contournons la corne nord et parvenons à l' « Aber Wrach », fin de la vire proprement dite ; et là, les horizons deviennent familiers, nous reconnaissons les lieux de nos interrogations de l'an dernier : en fait, nous avions cherché le début de la vire ( donc la fin pour nous qui la parcourons en sens inverse) plus bas qu'elle n'était... |
Nos difficultés ne sont pas terminées pour autant : il faut d'abord retrouver l'endroit ou nous avions fait demi-tour, et ensuite le cheminement de retour ; eh bien, à une année de distance, à cause de ces f.... aulnes, nous en avons eu, du mal ! Seul avantage par rapport à l'an dernier : nous avions un moral de vainqueurs. Nous retrouvâmes avec bonheur nos ruines de Laoscella, le petit ruisseau en contrebas aux vasques glacées, ... et un sanglier fort marri de voir tant de monde dans son pâturage habituel, détalant vers le col des Maures. Philippe, qui avait parié avec Daniel qu'on ne voyait pas de telles bêtes au-dessus de 1300 m, en fut pour lui offrir son dîner le lendemain au resto. Encore une nuit clémente, qui permit à notre poète Arnaud de contempler les constellations de l'été. D'autres photos de ce secteur ici sur la page relatant notre tentative de l'année précédente |
De la routine, mais enfin certains franchissements du torrent de Laoscella ne furent pas évidents ; le site de la cascade était toujours magique, tout comme la halte à la bergerie de Saltare. D'une année sur l'autre, nous avions pris nos habitudes : le pique-nique du déjeuner devait avoir lieu au confluent Cavicchia-Candela, où une vasque immense permet les ébats d'une douzaine de randonneurs à rafraîchir. Faute de temps, nous avions renoncé à la remontée du vallon de la Sposata, chère à Daniel-le-Crapahuteur. A vrai dire, je n'ai toujours pas compris si elle était réalisable... Il ne nous restait plus qu'à sacrifier aux libations à la bière corse au bar des amis. Surprise, Achille, le sympathique garde de la maison forestière de Piriu, alerté par le patron du bar, nous rejoignit peu après, et nous apprit que notre vire se nommait en fait l' « andade a u ponte », l'Andatone étant en fait le passage direct qui monte de la prise d'eau aux bergeries de Scaffone, et dont Philippe avait reconnu le début l'an dernier. Donc...l'Andatone n'est toujours pas vaincue ! Cela nous permettra de rêver jusqu'à l'an prochain... En attendant, les guerriers allèrent se taper une cloche bien méritée, et une nuit dans de vrais lits et de vrais draps à Galeria, avant la triste dispersion du lendemain, et le retour de certains (mais pas tous...) sur le continent. D'autres photos de ce secteur ici sur la page relatant notre tentative de l'année précédente |
C'est finalement Eckard qui nous a fait partager son rêve, et permis de le réaliser. Mais tous ont apporté leur pierre plus ou moins grande, surtout Georges avec sa doc inoxydable, et Philippe et ses multiples reconnaissances en solo. L'équipe était physiquement homogène, ce qui était important, et suffisamment motivée pour accepter les incertitudes d'un tel programme. En définitive, la réalisation de ce trek sur deux années a certainement minimisé les risques. Et nous avons été gâtés par le temps ! Enfin, le principe de reconnaître avant le gros de la troupe les passages hasardeux a sans aucun doute beaucoup contribué à la sécurité : merci à Philippe et Daniel, qui ont été infatigables dans leur rôle d'éclaireur ! Arnaud fut tellement séduit par ce parcours qu'il a convaincu Georges, Sophie et sa fille Sarah d'en faire autant à la première occasion... qui arriva le 20 septembre de cette même année 2008... l'année des vires pour certains d'entre nous ! Voici le récit de cette journée. |