« Alors, papa, tu vas aller avec tes potes de Meetic-Corse ? » C'est ainsi que mes enfants ont salué mon départ pour la grande aventure des treks sauvages en Corse. Car c'était bien une gageure de réunir 12 marcheurs qui ne s'étaient jamais vus auparavant, et dont l'unique lien était constitué par des échanges sur Internet dans les deux sites qui parlent de balades inédites en Corse : « Paglia Orba », le site de Georges Welterlin, et « Corse Sauvage », celui de Philippe Evrard, où un article d'Eckart Berberich sur une vire mythique située sous le Tafonatu en avait fait rêver plus d'un. Du rêve au trek, quelques mails échangés entre une douzaine de fanas. Et voilà comment le gîte de Mont Estremo bruissait ce samedi 7 juillet d'une agitation fébrile : les trekkeurs se retrouvaient pour la première fois, impatients de découvrir la « trombine » de ceux avec qui ils allaient partager ces aventures. A vrai dire, certains regroupements avaient eu lieu auparavant, d'abord de Georges et de sa famille, et de François avec Caro, pour un petit entraînement préalable dans la région de la Lonca. Pour la présentation de l'équipe, se reporter au récit du trek suivant, écrit paradoxalement plus tôt ; j ‘en rappelle brièvement les protagonistes : - le clan Welterlin (en abrégé clan-W) comprenant Georges, Sophie et leur fils Thomas, la sœur de Georges, Elisabeth, et son mari Serge, - les nordistes, Eckard Berberich et son amie flamande Thérèse, - les sudistes, de Toulon, Caroline dite Caro, son ami Victor, et François, - les électrons libres, Matthieu et Philippe, sans conteste initiateur de cette aventure grâce à l'accueil dans « Corse sauvage » de la description de la fameuse vire. Inutile de dire que l'ambiance de ce dîner fut cordiale, et que nous fîmes honneur à la charcuterie locale et à la daube de sanglier, ne sachant pas très bien (ou ne le sachant que trop...) ce que nous mangerions les jours suivants là-haut. Suivant la tradition, la femme de Philippe s'était jointe à nous en accompagnant son mari au gîte, elle viendrait le rechercher à l'issue du trek ; entre-temps, elle se serait adonnée à des « activités » plutôt tournées vers la plage de Galéria, Philippe ayant réussi à lui faire passer le goût des treks sauvages. Dommage ! |
Rendez-vous « matinal » au bar des amis de Barghiana, enfin aussi tôt que peut le permettre la mise en mouvement de 12 personnes dans un gîte où elles doivent prendre leur petit-déjeuner et élaborer judicieusement le sac qu'elles emporteront sur leur dos tout à l'heure, ni trop (la grande tentation !), ni trop peu, le surplus étant laissé dans les voitures ; fondamentale inégalité : les poids vont de 10 kg (Philippe) à plus de 20 (Matthieu)... Bref, mise en marche vers 9h 30, ce qui est tard pour un jour de juillet en Corse. Heureusement, l'eau n'y est jamais très loin : nous traversons le Fango sur une passerelle, la Candela à gué juste à son confluent, et la remontons en rive droite par un sentier honorable qui nous fait passer dans des ruines de petits hameaux, dont on ne peut s'empêcher d'évoquer la vie, finalement pas si lointaine que cela ; au bout d'une heure, nous atteignons le confluent avec le ruisseau de Bocca Bianca, lieu de vasques et de cascatelles auxquelles nous faisons honneur, déjà suants de ces kilomètres en pleine chaleur ; puis nous retrouvons la piste en rive gauche de la Candela devenue Cavicchia, qui mine de rien monte fortement : les groupes s'échelonnent, se retrouvent à la prise d'eau pour remplir les gourdes, avant de retraverser le ruisseau (100 m avant la prise d'eau) et emprunter le sentier qui remonte la vallée en rive droite ; une demi-heure après, nouvelle traversée, nouvelles vasques, nouvelle baignade. La côte s'accentue, les rythmes cardiaques aussi ; nous parvenons à une espèce de large corniche surplombant le cours d'eau, redescendons légèrement vers le ruisseau de Saltare, que nous traversons pour remonter par un bon sentier vers la bergerie du même nom. Ah le bel endroit magique ! La « bergerie » est construite sous un surplomb , elle comporte un petit jardin clos agrémenté de quelques objets de confort moderne : siège, ustensiles, tables, petit foyer...Nous nous affalons dans l'herbe drue à cet endroit, passablement fourbus par cette première montée, et pique-niquons de bon appétit. Mais il ne s'agit pas de traînasser dans ce vert paradis, un bon dénivelé nous attend encore, et nous attaquons la remontée du vallon du ruisseau de Laoscella ; le sentier est moins évident, fort heureusement, Victor et Caro sont passés là l'an dernier et possèdent encore des souvenirs étonnamment précis. Je souffle beaucoup, heureusement que je me suis entraîné les jours d'avant ! Enfin nous parvenons, assez tard, à la bergerie, ou plutôt l'aire de Laoscella. Nous sommes au pied de la Grande Barrière, les crêtes vers l'est, illuminées par le soleil qui se couche, ressortent de plus en plus dorées sur un fond d'azur profond. Philippe nous explique sa montée vers le col des Maures tout proche, et surtout la désescalade qui l'a suivie : ce récit ne me laisse pas un poil de sec ! L'endroit n'est pas des plus confortables pour bivouaquer : peu d'espaces horizontaux, des pierres partout... nous nous félicitons de ne pas être plus nombreux. L'eau coule, abondante et fraîche en contrebas, et permet un débarbouillage efficace. |
Bien au fond de notre vallée orientée vers le Nord, nous sommes à l'ombre en cette fin de soirée, et nous ne reverrons pas le soleil avant demain matin... Cela a l'air de causer quelques soucis à Georges qui scrute l'évolution des ombres sur le versant encore éclairé des montagnes . Il commence à nous expliquer qu'avec un peu de chance, le soleil réapparaîtra sur une petite crête secondaire, une petite centaine de mètres plus haut, en fait le point 1431 de la carte IGN où nous passerons demain... Il cherche des cobayes pour l'accompagner... avec un succès très relatif et finit par convaincre Elisabeth et Thérèse, sans doute plus attirées que la moyenne par un très hypothétique coucher de soleil ! En fait ces trois-là auront eu raison... mais quelle veine... Depuis leur point d'observation, le soleil réapparaîtra derrière la montagne pour disparaître sur l'horizon vingt minutes plus tard... et ils ramèneront quelques photos, histoire de nous faire regretter notre caractère pantouflard !!! |
Bien sûr, tel n'était pas le programme, mais si le randonneur propose, le Ciel dispose... Nous nous ébranlons donc de bon matin, tout notre bazar sur le dos, avec comme objectif, le couronnement de six mois d'intenses échanges e-épistolaires, la vire de Scaffone. Une petite inquiétude nous ronge sournoisement l'esprit : la météo prévoit une dégradation, et un passage de pluie et vent, ce qu'on n'aime jamais trop en montagne, surtout quand on joue les mouflons sur une corniche relativement étroite et aérienne. D'autant que Doumé de Puscaghja avait laissé un message à Caro lui annonçant cet épisode de temps incertain, et lui déconseillant de s'aventurer sur la vire. Du campement nous grimpons donc NW, franchissons l'épaulement vers 1450 m, suivons une trace montant W sans trop de mal en suivant quelques cairns épars ; pour franchir la crête dons nous longeons le pied au nord, entre les deux couloirs qui s'offrent à nous, nous choisissons (judicieusement !) celui qui se trouve le plus à l'W. C'est là que commencent les difficultés. Depuis ce col (dénommé brèche de Scaffone sur la carte jointe et proche de la cote 1707 sur la carte IGN), le sentier n'est plus qu'une vague trace non cairnée, par endroits très envahie ; nous progressons difficilement, et apercevons enfin une arête que nous pensons être celle du point tournant, située sur la carte sous le « e » de « Punta Larcitella ». Le point de franchissement ne nous en paraissant pas évident, nous envoyons des courageux en reconnaissance pendant que le gros de la troupe souffle un peu ; échec, pas de passage sûr, nous redescendons retrouver le « sentier », continuons vers l'W, franchissons l'arête, mais beaucoup plus bas que prévu, en apercevons une autre devant nous, essayons de remonter pour retrouver le cheminement nominal...Eckard, soucieux et tendu, ne reconnaît pas le lieu de ses exploits d'il y a quelque vingt années. L'arête que nous cherchions n'était ni la première, ni la seconde, mais l'ultime, celle qui était encore à 3 ou 400 m devant nous, fuyant telle un mirage ; il est quatre heures, nous, les ténors du GPS, sommes furieux contre nous-mêmes de n'avoir pas posément regardé nos cartes et nos points, ce qui nous aurait évité bien des errements ; je m'en veux terriblement, car j'avais préparé un super-agrandissement de la carte, dûment quadrillé, et finalement, il ne nous aura servi que trop tard, par flemme et fatigue... S'engager plus loin à cette heure, avec la menace du mauvais temps, fatigués comme nous l'étions aurait été imprudent ; la mort dans l'âme, nous décidons de faire demi-tour ; la fonction « track back » du GPS de Georges nous est bien utile ; à sept heures, nous sommes de retour au camp de Laoscella, reclus ; il commence à tomber quelques gouttes, mais finalement la pluie annoncée se borna à ces quelques condensations : Météo France devient prudent...Dîner un peu morose, et coucouche panier. |
Le retour fut sans histoire, surtout avec l'expérience de Victor et Caro ; nous retrouvons notre cheminement enchanteur de l'aller ; nous pique-niquons au confluent Cavicchia-Bocca Bianca en nous rafraîchissant abondamment. Pour changer, nous regagnons Barghjana par la rive gauche et retrouvons bientôt la civilisation, avec les belles vasques d'autant plus encombrées qu'elles sont proches de la route... Au bar des amis, on est content de nous revoir entiers ; bien sûr, nous ne résistons pas à la Pietra bien fraîche qui hantait nos esprits depuis quelque temps. Photo de l'équipe, adieux à Philippe qui ne nous accompagne pas dans le trek suivant, mais qui nous promet -et il a tenu parole (voir le site « Corse Sauvage »)- d'aller prendre tous les repérages nécessaires pour notre retour sur la « vire de Scaffone » dont un berger-internaute lui apprit par la suite le vrai nom : l'Andatone. Et nous nous séparons rapidement, car il nous faut nous positionner pour le trek « Vetta di Muro », avec ravitaillement, navette de voitures entre Castiglione et Corscia, etc... |
Avons-nous été trop ambitieux ? C'est probable, car on ne peut faire de l'exploration à 12 ou 13 ; et pourtant l'équipe était physiquement homogène. Nous comptions sans doute un peu trop sur la mémoire d'Eckard (mais après vingt ans, quand moi-même j'ai du mal à reconnaître certains tronçons de sentier l'année d'après !), ou sur les vertus du GPS. Comme dit un obscurantiste randonneur de mon groupe de marche toulonnais : « Le GPS, ça dit où on est, mais ça ne dit pas par où il faut passer ! ». Ceci étant, nous l'avons mal exploité, ou trop tard. Mais que de paysages à vous couper le souffle ! Pour quelques anecdotes voici la description de la remontée de la vallée de Taita par un botaniste, en 1908... Nos recommencerons, le leit-motiv d'Eckard est un peu le nôtre : |
Après notre parcours de la vire d'Andatone en 2008, Achille garde de la maison Forestière de Piriu nous avait appris que cette vire ne s'appelait pas ainsi, mais Andade a u Ponte. La vire d'Andatone permet, elle de rejoindre en direct les bergeries de Serrata (alias bergeries de Scaffone) depuis la prise d'eau sur la Cavicchia. En 2009, Achille avait guidé Philippe et Eckard sur cet itinéraire (voir cet article du site Corse Sauvage de Philippe Evrard). Fin juin 2010, Philippe devait à son tour nous servir de guide pour découvrir cet itinéraire direct, mais le projet avait été abandonné car le terrain était trop humide et glissant après les fortes pluies des jours précédents. Nouveau projet en 2011, mais Philippe ne pouvant pas nous accompagner : c'est Eckard qui sera notre guide. Cette année, nous devions être quatre participants (Eckard, Sylvain, Sophie et moi), mais après les efforts consentis les jours précédents et notamment Capu a u Ceppu, Sophie et Sylvain ont déclaré forfait en préférant programmer une journée farniente agrémentée par une visite en bateau de la réserve de Scandola. C'est donc finalement à deux que nous avons tenté de réaliser cet aller-retour vers les bergeries de Scaffone... complété en étant très optimiste par Capu Rossu. Nous sommes partis la veille en fin d'après midi pour bivouaquer au bout de la piste près de la prise d'eau de la Cavicchia, et partir ainsi de bonne heure. Le départ de la trace se retrouve facilement, nous nous y engageons vers 7h30, et la première heure se passe au mieux puisque nous gagnons plus de 200 mètres, ce qui est une bonne performance sur un terrain pas facile sous couvert végétal, sans oublier un petit torrent à franchir. La végétation devient provisoirement moins haute au passage d'un ravin, le lit d'un second torrent presque à sec ; cette éclaircie végétale nous permet enfin d'entrevoir les reliefs alentours. |
Au delà de ce ravin, nous mettons beaucoup de temps à retrouver une trace... Et la galère va continuer en alternant des portions de traces relativement nettes, avec des zones où il faut prospecter dans tous les sens avant de trouver un passage ! Nous mettrons ainsi trois heures pour gagner les 200 mètres suivants ! La végétation est toujours relativement dense, de sorte que des recherches successives conduisent à perdre rapidement les références de la direction générale à prendre ! Heureusement que le soleil permet de temps en temps de nous recaler... Vers midi il devient évident que nous n'arriverons jamais à monter aux bergeries puis à redescendre avant la nuit : Eckard abandonne en proposant un demi-tour que j'accepte volontiers, d'autant plus que le retour n'est pas gagné (nous avons certes une trace sur notre GPS, mais celui-ci n'est ni précis ni fiable dans le fond de cette vallée encaissée)... et jusqu'à présent, notre moyenne a été de 0,4km/h pour parcourir un peu moins de 2km !!! Fort heureusement pour retrouver les différents points clé sur le chemin du retour, nous tâtonnons relativement peu, et nous nous offrons même une séance de rafraîchissement dans une petite vasque du premier torrent. Nous retrouverons ainsi la piste de la Cavicchia deux heures environ après notre demi-tour. A l'examen des traces GPS enregistrées, et en relisant l'article de Philippe, on peut penser qu'il restait une centaine de mètres à gagner pour arriver au début de la vire. Si vous avez l'âme d'un prospecteur, voici la trace GPS de cette tentative que vous pouvez aussi visualiser directement sur Google Earth ici. Attention toutefois à l'avertissement de Philippe sur son site pour cet itinéraire qu'il qualifie de «...piste de Sioux où seuls le flair et l'expérience permettent de s'en sortir sans dommage...» |