La genèse d’un trek est toujours le fruit d’une idée directrice, jointe à des circonstances favorables qui lui permettent un jour d’éclore, ici au beau soleil de Corse. Le but principal était de passer une nuit dans ce lieu mythique de Vetta di Muro, cette « station thermale » perdue du côté des aiguilles de Popolasca ; les circonstances bénéfiques, c’était que nous sortirions d’un trek original destiné à découvrir la « Vire de Scaffone » (voir le blog « Corse sauvage »), où nous aurions eu largement le temps de nous mettre en jambes, et à l’issue duquel nous nous retrouverions dans ce coin, disons nord-est, de la Corse. Vu les calendriers de chacun, nous disposerions de quatre jours pour réaliser une traversée intéressante sur cette longue ligne de crête qui va du Capu Verdatu à la Cima a i Mori, suivie d’une descente vers Castiglione par le très sauvage vallon de la Terrivola, en passant bien sûr par la fameuse source . Enfin, nous disposerions d’un sympathique guide, Matthieu, connaissant fort bien la région, grâce à plusieurs années passées comme gardien du refuge de Ciottulu. Et voilà comment une petite douzaine de fanas des treks un peu inédits, reliés par la fréquentation assidue des deux sites « Paglia Orba » et « Corse sauvage » se retrouvèrent un beau jour du mois de juillet pour cette (modeste) aventure. Je présente brièvement les protagonistes : - la tribu Welterlin, à savoir Georges, créateur et animateur de « Paglia Orba », son épouse préférée Sophie, un de leur fils, Thomas, le benjamin du groupe ; la soeur de Georges, Elisabeth et son mari Serge. - les Nordiques, Eckard et son amie Thérèse, redoutables montagnards, le premier Allemand (mais habitant Paris, « glücklig wie Gott in Frankreich«) et vétéran du groupe, la seconde Belge. - les Sudistes, par hasard tous toulonnais, Caroline dite Caro, la benjamine, Corse de Lento par sa mère (mais n’allez pas croire que le nom de son village ait une quelconque influence sur l’allure de sa marche !), son ami Victor et votre serviteur, deuxième vétéran. et last but no least, notre guide Matthieu. L’inspirateur de cette rando était certainement Georges, qui possède trois cordes à son arc, outre un pied résolument montagnard : - la pratique du vol à moteur, qui lui permet d’aller repérer de haut les futures balades ; - la pratique du GPS, très complémentaire de la précédente ; - la photo, et pas avec un petit numérique de supermarché ! Donc en avant pour les étapes de ce trek. |
Nous posons les voitures près de l’église qui domine le village, à une heure raisonnable de la matinée (ah, bouger 11 personnes !) ; après la première séance de crémage intensif à base d’écran total de la famille Welterlin ( il y en a trois par jour), nous entamons le sentier qui part NNW, en s’élevant régulièrement. Nous sommes bien chargés, en particulier d’eau, craignant d’en manquer à cette époque de l’année -mais finalement, nous aurons été exagérément pessimistes, car les sources étaient alimentées- Première halte à la fontaine de Callaiola (N42.36688 E9.03054) -plein d’eau- ; 1 km plus loin, au niveau de la bergerie de Caracuto située un peu en contrebas, le sentier qui suit toujours le vallon de la Ruda, s’infléchit vers l’ouest, passe aux bergeries d’Urcula, superbe ensemble de bâtiments et de parcs clos, où nous pique-niquons ; puis nous passons en RG de la Ruda (option non obligatoire, nous apercevons un sentier en RD a priori praticable) ; la progression devient raide et inconfortable, dans une végétation constituée surtout de buissons d’aulnes ; vers cinq heures du soir, nous arrivons après quelques ultimes ressauts au lac de Ghiarghe Rosse, première pièce d’eau de ces « lacs » du Verdatu. Une belle source difficile à repérer est située une petite centaine de mètres au Nord du lac (N42.39691 E8.99015). Il y a beaucoup de brouillard, il fait frisquet, nous montons les tentes en vitesse ; vers sept heures, l’atmosphère se décrasse un peu, ce qui permet d’aller voir le « lac Maggiore », et surtout de prendre des photos d’une tribu de mouflons, curieuse de nos activités. Redescente au camp, dîner et mise au dodo rapides ! Téléchargez trek4j1.gpx, la trace GPS de la journée avec 294 cairns virtuels. Vous pourrez aussi consulter la page du trek Verdatu et Biancu réalisé 6 années plus tard. |
Après une nuit fraîche, et un petit déjeuner reconstituant, départ pour ce long parcours de crête. Le temps s’est remis au beau, l’atmosphère est plus légère que les sacs, dont certains recèlent des trésors de boîtes de conserve, certes savoureuses, mais pesantes. Une traversée à peu près de niveau nous mène à la Bocca Barnosella Sottana, puis une grande descente nous conduit à la Bocca de Serra Piana, où nous croisons le sentier balisé qui relie Corscia à Asco : petite pause « fruits secs et barres »dans ce cadre aéré et reposant. Pour la suite du parcours , Matthieu préfère nous dégager de la crête, en empruntant un sentier qui descend, doucement, mais régulièrement, vers l’est ; mais il ne faut pas manquer le virage à 90³ de notre parcours de crête au Capo di Lino, et nous sommes en versant sud alors que notre chemin oblique plein nord : finalement, après nous être positionnés avec précision grâce au GPS de Georges, nous décidons de remonter nord-est pour retrouver la crête un peu à l’est du Capo di Lino, regagnons notre cheminement et déjeunons au col juste au nord de ce Capo ; en contrebas, la bergerie de Galghello, où nous aurions pu refaire le plein si nous avions manqué d’eau. L’après-midi, nous commençons par gagner la Bocca Bella Bona, autre passage pour relier la vallée du Golo à celle de l’Asco, puis le Monte Pianello par un parcours de flanc assez crevant pour éviter le Capu di u Dente dont l’aspect rocheux nous décourage un peu ; enfin la Bocca Meria d’où part un sentier raide et caillouteux qui nous descend à la « station thermale » de Vetta di Muro, où nous arrivons en fin d’après-midi. Téléchargez trek4j2.gpx, la trace GPS de la journée avec 313 cairns virtuels. |
Le site est d’une grandiose et austère beauté, avec son environnement très minéral d’aiguilles innombrables et acérées, au milieu desquelles arrive à se faufiler, Dieu sait comment, le petit ruisseau issu de la source pour se jeter largement en contrebas dans l’Asco. La source elle-même (N42.42311 E9.07445) est constituée de plusieurs ruissellements ; quelques bassins ont été construits sous celui de plus fort débit ; mais aujourd’hui, l’ensemble est très délabré, y compris le sentier qui mène « aux eaux » : plus d’un siècle... et beaucoup de vaches sont passées par là. A environ 150 mètres de la source ont été élevées les cabanes des « curistes », entièrement en pierre, y compris les voûtes qui servent de toit ; travail impressionnant que nous avions déjà remarqué à la bergerie d’Urcula, nécessaire dans ces endroits où le bois d’œuvre est rare et plutôt réservé aux habitations « bourgeoises ». Nous y prenons nos quartiers, imaginant avec peine ce que pouvait être une cure dans cet endroit aux siècles passés ; une chose paraît sûre : il fallait déjà une robuste constitution pour mériter ces eaux... Soirée un peu décalée par rapport à nos habitudes citadines ; nous n’avions pas hésité à ramasser des branches d’aulnes séchés pour un petit feu de camp, sans risque en l’absence de vent et de toute végétation combustible. |
A vol d’oiseau, à peine plus d’un km : mais il n’était pas question de faire « au plus facile », à savoir monter par le couloir ouest-est qui débouche sur la crête au sud-est de la Cima a i Mori : ç’aurait été sans compter sur l’imagination débordante de Georges et de Matthieu, qui se rappelait avoir emprunté un trajet « plus direct », partant des environs de la source et montant nord-est pour aboutir, cette fois, au nord de la Cima. Ami randonneur, se rappeler qu’on ne fait pas forcément à onze ce qui semble facile tout seul ou à deux : le début de ce couloir était pourri, pas une pierre ne tenait, et nous avions beau marcher comme sur des œufs, nous devions être très vigilants sur ce qui dévalait de l’amont. Enfin après deux bonnes heures d’un crapahut un peu angoissé, nous débouchâmes au point prévu et nous affalâmes pour casser la croûte. L’après-midi, nous avions du temps, pour monter tranquillement à la Cima a i Mori, puis baguenauder autour de la dent d’Asco. Caro, elle préféra reconnaître le sentier qui descend de la Bocca a la Scaffa vers la bergerie de Bradani, décrit comme évident dans un ouvrage connu... la pauvrette y renonça, étant donné la densité des aulnes et l’absence de sentier tracé. (NB : le sentier existe bien mais le départ depuis le col est peu évident à trouver car il faut se diriger vers le Turone pour trouver la trace). Eckard alla rôder autour du Turone, sommet caractéristique des environs. Bivouac donc sous la grotte de Scaffa, l’intérieur de cette grotte-bergerie se révélant peu accueillant, surtout pour onze personnes, qui finalement durent se disperser pour qui monter sa tente, qui étendre son duvet, en écartant soigneusement les innombrables bouses de vaches : les plus sèches nous servirent à alimenter un feu, le bois combustible étant plus rare que la veille. L’inconvénient de Scaffa est le manque d’eau : l’accès au ruisseau en contrebas est complètement pollué par les déjections animales, et la source (N42.42672 E9.08801) est largement plus en amont, à dix bonnes minutes de crapahut dans un terrain inconfortable. Je m ‘interroge sur les conséquences pour l’environnement de la présence de toutes ces vaches errantes, dont les inconvénients premiers sont la déterioration des sentiers –comme nous l’avions déjà remarqué à Vetta di Muro- et la pollution des cours d’eau, et dont les avantages ne sont pas évidents : vaste débat... Nuit superbe sous la voûte du ciel : il fait doux, et j’ai renoncé à dresser la tente. Téléchargez trek4j3.gpx, la trace GPS de la journée avec 188 cairns virtuels. |
Discussion épique la veille : Caro et Victor doivent impérativement être à Francardo à 16 heures pour rentrer à Toulon et repartir dans la foulée ... en Pologne. Caro, frustrée de son échec vers Bradani, voulait se consoler par l’ascension du Turone, gros pain de sucre dégagé du reste du massif, et Victor prétendait que « c’était trop juste en temps » : finalement, on nous donna jusqu’à 10 heures du matin pour cette escapade, ce qui se révéla largement suffisant ; la montée sur le Turone, au sud-est du sommet, est facile, et le point de vue du haut de ses 1929 m est vraiment somptueux : virée à ne pas manquer. La descente sur Castiglione fut sans histoire : nous retrouvions le chaleur avec la perte d’altitude, et le pique-nique à l’ombre des châtaigniers de la fontaine de Padule (N42.40884 E9.11793) fut le bienvenu ; nous atteignîmes le bourg en début d’après-midi, où nous avions garé une voiture, pour organiser une (longue) navette vers Calacuccia, en laissant ceux qui attendaient à proximité des vasques rafraîchissantes de la Terrivola... Téléchargez trek4j4.gpx, la trace GPS de la journée avec 319 cairns virtuels. Vous pourrez aussi consulter la page consacrée à Cima a i Mori qui relate notre sortie de l'année précédente dans le secteur de Scaffa. |
Ce parcours de crête est superbe, et relativement facile : bien sûr, il y faut une bonne forme physique, surtout pour porter un sac avoisinant, avec l’eau et la nourriture pour trois jours, les quinze kilos (nous ne sommes pas spécialistes de la MUL, marche ultra-légère !) ; mais aucun passage ne réclame des compétences autres que celles d’un bon randonneur. Les chemins sont largement décrits dans le guide Didier-Richard (itinéraires 100, 99 98, 91, 92, 93, et 95), ainsi que dans l’ouvrage d’Alain Gauthier, 120 randonnées et balades. Consultez ici la description de la visite des lacs du Verdatu par un botaniste, en 1908... Cela peut constituer un bon trek familial, pour rester dans l’esprit de « Paglia Orba ». |