Cette année, nous avions programmé un séjour d'une semaine en Corse fin août, début septembre, et parmi les habitués des deux années précédentes, seul Philippe Evrard était disponible en cette fin d'été pour participer à un trek... D'un commun accord, nous avons retenu une période de deux ou trois jours en fonction de la météo pour aller explorer des voies dans le Filosorma que personne d'entre nous ne connaissait encore. Le programme prévoyait de traverser en est-ouest la Grande Barrière par le col de Serra Pianella pour rejoindre les bergeries de Laoscella, puis le lendemain d'emprunter le raide couloir entre Punta Rossa et Capu Scaffone pour ensuite descendre vers la vire du Tafonatu, remonter vers une brèche au-dessus de la vallée de Laoscella et enfin retrouver les sentiers fréquentés en franchissant le col des Maures. Cet itinéraire permettait aussi de compléter la boucle autour de Capu Tafonatu proposée par Michel Fabrikant puisque nous en avions réalisé une moitié l'année précédente à l'occasion de la découverte de la vire de l'Andatone. Le titre de la page et le plan ci-dessous montrent que nous sommes loin d'avoir réalisé cet objectif : nous avons tout juste réussi à faire une incursion de quelques mètres dans le Filosorma au col de Serra Pianella... A partir de ce col, la suite fut totalement improvisée, avec l'ascension de Punta Minuta puis de Punta Crucetta, avant de rejoindre Calacuccia. via la vallée de l'Erco ! Une alternative tout de même plus simple à réaliser. |
Le point de départ que j'avais imaginé se trouve sur la piste en direction des bergeries de Ballone, quelques kilomètres après Calasima ; c'était là où nous avions garé notre véhicule pour atteindre Capu Falu deux années auparavant, car au-delà, la piste ne me paraissait pas praticable pour une voiture ordinaire. La veille, Philippe nous avait rejoint au couvent de Calacuccia, notre camp de base cette année, pour autoriser un départ matinal. Philippe était plus optimiste que moi sur l'état de la piste et pensait pouvoir se rapprocher bien d'avantage des bergeries de Ballone ; Sophie quant à elle ne souhaitait pas se lever à une heure pas possible... Nous finissons par trouver un compromis pour un départ de Calacuccia autour de 7h15... Philippe, au volant de sa voiture, dépasse avec confiance notre point de stationnement de l'année précédente, pour s'apercevoir quelques centaines de mètres plus loin que la piste est trop dégradée... Maintenant seule une marche arrière prolongée permet de retrouver le seul endroit convenable pour garer le véhicule ! Nous serons finalement prêts à 7h35. Toujours fort optimiste, nous voilà partis sac au dos, convaincus qu'il est presque aussi rapide de progresser à pied sur une piste fort dégradée, qu'en voiture... Le cheminement n'est pas très attrayant au départ, même si un sentier balisé permet d'éviter un lacet de la piste. Après la grotte des Anges, plutôt que de couper directement vers le lac de Paglia Orba (comme proposé par Michel Fabrikant), nous décidons de faire un grand détour par les bergeries de Ballone sur un sentier fort bien balisé, puis sur le GR20 : ainsi nous sommes sûrs d'éviter une galère sur une trace qui a peut-être disparu, et finalement nous serons peut-être aussi rapides ! Après un cheminement devenu plus agréable, voici vers 8h30 les bergeries de Ballone, on devrait d'ailleurs plutôt dire le refuge de Ballone, car de nombreux adeptes du GR20 choisissent cet endroit, plutôt que le refuge de Tighiettu, pour passer la nuit et profiter du dîner ; il y a même quelques mini-bungalows ! Nous profitons de la fontaine pour boire un maximum, car la journée s'annonce chaude et nous ne savons pas si nous retrouverons de l'eau avant Laoscella. Nous voilà maintenant sur une portion relativement plane du GR20 qui mène ensuite au col de Foggiale et au refuge de Ciottulu di Mori (où nous envisagions d'arriver le lendemain soir par des voies inhabituelles). Au bout de 15 minutes, un bon sentier ascendant laisse le GR20 à gauche : s'agit-il d'un raccourci qui nous amène dans notre vallon derrière la crête de l'Astratella ? Nous essayons de le prendre, mais nous nous apercevons assez rapidement qu'il ne s'agit que d'une ancienne variante du GR20 qui redescend d'ailleurs vers l'itinéraire actuel quelques centaines de mètres plus loin. Aune demi-heure des bergeries de Ballone, des cairns permettent de repérer le point où il faut quitter le GR20, car notre itinéraire passe à proximité du petit lac de Paglia Orba. Peu avant d'arriver au lac, nous devons nous engager dans le vallon vers la droite. Même si nous devinons son emplacement qui semble assez proche, nous n'apercevons pas le lac, et je regrette un peu de ne pas avoir suggérer à Sophie et Philippe de faire le petit détour. Si initialement nous remontons le vallon en rive gauche, au-dessus d'un petit torrent, très vite nous nous apercevons que celui-ci s'oriente vers l'ouest : il faut le traverser, d'autant plus que le cheminement deviendrait fort délicat de ce côté-ci. En traversant le torrent, je me demande s'il convient de compléter nos gourdes, mais celles-ci étant à peine entamées, et n'ayant pas d'éléments pour savoir s'il faudrait où non y mettre une pastille de micropur, je décide de ne pas donner suite... d'autant plus que j'imagine, à tort, que nous retrouverons de l'eau plus haut. Après la traversée du torrent, nous avançons à l'estime entre les derniers conifères puis sur un terrain assez facile mêlant petites zones rocheuses et végétation basse, guidés de main de maître par Philippe, plus expérimenté que moi sur les itinéraires hors sentier (voir son site corse sauvage). Si le topo de Michel Fabrikant indique qu'il faut emprunter une vire au pied des escarpements rocheux en fond du vallon, Alain Gauthier, dans le livre « Corse des sommets » indique qu'il faut négliger une première vire ascendante. Nous avons des doutes lorsque nous arrivons à l'entrée d'une belle vire : est ce que c'est la première ou la seconde ? Si un peu plus bas on peut identifier une espèce de vire, cette dernière n'est pas bien marquée... Nous sommes à 1740m, dommage que l'altitude ne soit pas précisée dans ces topos. |
En tout cas nous nous engageons direction ouest sur cette vire, ce qui se révèlera être la principale erreur de cette journée. Nous trouvons un peu plus tard quelques cairns rassurants. Son parcours est facile, avec une vue exceptionnelle sur Paglia Orba et la brèche du Sphinx. Au point marqué p1 sur la carte (environ 1900m), nous commettons une nouvelle erreur en interprétant les descriptions des auteurs déjà cités (normal puisque nous ne suivons pas le parcours décrit) : au lieu de poursuivre sur un passage un peu raide de la vire , nous empruntons un cheminement naturel nous amenant le long d'un petit torrent asséché à cette époque de l'année (point p2 sur la carte). Pour progresser, il y a le choix entre l'escalade d'un mur pas évident, et la progression sur une dalle de quelques mètres fortement inclinée, sans prise de main et très exposée. Philippe teste puis franchit seul la dalle inclinée, et va voir si d'autres difficultés se présentent plus haut vers ce que nous pensons être le Pas des Bergères. Pendant ce temps j'essaie de trouver, sans succès, un autre passage. De retour une demi-heure plus tard, Philippe nous indique que cela devrait passer, même s'il y a un second passage exposé, mais avec de bonnes prises cette fois. Il essaie de chercher un point d'ancrage pour pouvoir nous assurer avec une corde ; après plusieurs essais vains, il finit par trouver une minuscule excroissance rocheuse qui permet l'opération. Rassurés par cette corde, Sophie puis moi empruntons donc cette fameuse dalle, pour constater que la seule adhérence des chaussures est effectivement suffisante pour ne pas glisser... Il est déjà 12h40 et il nous aura fallu 1h20 pour négocier ce passage totalement exclu par temps de pluie ! Le second passage exposé ne nous ralentit guère, il est très court et les prises de pied et de main sont excellentes. Après ces quelques émotions, nous voilà vers 2010m au point que nous pensions être le Pas des Bergères, avec la vue qui s'ouvre à nouveau vers le sud... Nous devrions maintenant perdre plus de cinquante mètres pour la suite de l'itinéraire ; or comme vous pouvez le constater sur le profil de la randonnée, nous ne sommes pas redescendus : très probablement n'avons nous jamais franchi le Pas des Bergères qui est d'ailleurs côté à 2065m par Michel Fabrikant. La suite du parcours redevient facile, y compris pour l'orientation, et le col de Serra Pianella va bientôt se dessiner devant nous. A une altitude de 2160 mètres voilà donc Serrra Pianella, ce col étonnamment débonnaire au milieu de la Grande Barrière. Il est 13h50, une heure bien tardive par rapport à nos prévisions, et mauvaise surprise : la vallée de Laoscella est totalement bouchée par les nuages... alors que vers l'est, les quelques cumulus sont bien au-dessus des reliefs ! Par exemple, Punta Artica où nous étions l'avant-veille, tout comme Monte Rotondo au loin sont bien dégagés... La descente côté Laoscella, est réputée assez délicate et se retrouver pendant plusieurs centaines de mètres dans la couche sur ce terrain inconnu ne nous enchante guère ; de plus, j'avais prévu de profiter de la descente pour tenter de visualiser, sur le versant en face, le meilleur cheminement possible pour l'ascension du lendemain matin... Nous décidons dans un premier temps de pique-niquer, le temps d'attendre une improbable amélioration. Parmi les alternatives possibles, une idée me vient : Philippe avait réalisé, à deux reprises déjà, l'ascension de Punta Minuta, non pas par la voie normale, mais au départ de Bocca Minuta (sur le GR20) par l'arête sud : selon lui, un parcours d'arête aussi improbable qu'exceptionnel pour un randonneur. Nous passerions alors la nuit au refuge de Tighiettu pour être à pied d'œuvre. Philippe adhère aussitôt à cette idée en m'expliquant qu'il s'agit d'une course qu'il referait à chaque occasion, tellement elle est intéressante ! Durant le repas, la vallée de Laoscella est toujours aussi bouchée, et un argument supplémentaire me décide à renoncer à la tentative : en raison de la chaleur il ne nous reste pas beaucoup d'eau, et si jamais nous sommes contraints de devoir improviser un bivouac, nous risquons d'être à court d'eau, et donc aussi de nourriture avec nos soupes et autres lyophilisés... Je ne cherche pas non plus à aller escalader la pointe Lejosne (2211m) toute proche mais nécessitant de négocier des cheminées exposées. |
A 14h40, nous décidons donc de faire demi-tour, avec l'idée d'éviter dans la mesure du possible le passage sur la dalle inclinée de ce matin. Nous voilà une demi-heure plus tard un peu au delà de « notre Pas des Bergères ». Une alternative semble possible, mais au lieu de plonger dans le ravin de ce matin, il faut commencer par franchir une autre dalle un peu moins inclinée mais tout aussi exposée. Sophie et moi, nous nous arrêtons avant celle-ci, en regardant Philippe tester l'itinéraire bis. Lorsqu'il nous interpelle de loin pour le rejoindre, voilà Sophie qui ne veut pas s'engager sur cette nouvelle dalle sans être encordée ! Et voilà Philippe qui remonte jusqu'à nous (il aura réalisé trois fois l'aller retour de ce passage délicat de près de 100 mètres de dénivelé !). Cette fois-ci , il arrive à convaincre Sophie que cette dalle est moins inclinée que l'autre, et qu'il est inutile de s'encorder, d'autant plus qu'il serait là aussi difficile de trouver un point d'ancrage. Comme Sophie est passée, je suis bien contraint d'en faire autant, mais là aussi il ne faudrait pas que le sol soit mouillé... Nous rejoignons ensuite un système de petites vires entrecoupées par des dalles qui ne présentent guère de difficultés, pour retrouver à la verticale de p2 la grande et longue vire de ce matin que nous n'aurions pas dû quitter au point p1. Même si ce trajet est bien plus adapté à un randonneur que le trajet matinal, il est fort probable que nous ayons encore manqué l'itinéraire normal : Après avoir préparé cette page et comparé en détail les descriptions et les itinéraires effectivement réalisés, je suis persuadé que le trajet normal est plutôt celui en pointillés sur la carte, le long d'une autre vire une bonne cinquantaine de mètres plus haut... Nous nous serions donc trompés de vire dès le départ, près de la crête de l'Astratella, il fallait la chercher plus haut ! Petite consolation, nos itinéraires évitent une redescente d'une cinquantaine de mètres par rapport aux descriptions référencées ci-dessus... Après la descente de la grande vire, nous nous retrouvons dans le vallon, et Philippe, plutôt que de suivre l'itinéraire de l'aller nous fait explorer un trajet un peu plus à l'ouest, peut-être un peu moins agréable qu'à l'aller. Nous retrouvons l'itinéraire du matin, juste avant la traversée du petit torrent, bien venu pour boire et reprendre quelques provisions d'eau pour la fin du parcours. Cette fois-ci, nous ne nous posons pas trop de questions sur le caractère potable de l'eau du torrent, car il n'y a manifestement pas de troupeaux là-haut. Même s'il est déjà 17h30, nous ne sommes pas pressés, et il va de soit que la visite du petit lac de Paglia Orba est obligatoire... L'éclairage de fin de journée n'est pas idéal pour bien mettre en relief ce petit lac devant Paglia Orba et la brèche du Sphinx, mais une autre surprise nous y attend : un groupe d'alpinistes corses y a élu domicile pour un bivouac ; ils partiront avant l'aube pour le col de Serra Pianella, puis envisagent de parcourir la grande Barrière jusqu'au pied de Paglia Orba qu'ils veulent ensuite escalader par la voie Finch (voir cette video réalisée par d'autres alpinistes corses. Après avoir descendu la zone rocheuse sous le lac, nous retrouvons le vallon, puis le GR20 Celui-ci nous mène, via les bergeries de Ballone au refuge de Tighiettu, vers 19h30, une heure bien tardive pour trouver une place pour une tente ; mais comme nous sommes en fin de saison, , nous trouvons un emplacement pour notre petite tente à proximité immédiate du refuge. Philippe choisit de dormir à la belle étoile. |
Après une nuit réparatrice, nous nous levons relativement tard, autour de 7h après la plupart des randonneurs du GR20. Comme nous serons obligés de repasser par le refuge pour revenir à la voiture le soir, je demande au gardien s'il est possible de laisser notre tente montée avec une partie de nos affaires jusqu'aux alentours de 15 ou 16 heures. Celui-ci accepte volontiers, ce qui permettra en outre de replier une tente bien séchée. Nous levons le camp peu après huit heure, avec des sacs bien légers. Il s'agit de commencer par rejoindre Bocca Minuta par le GR20, ce qui n'est guère difficile, même si nous avons pratiqué un peu de hors piste par une succession de dalles bien inclinées, mais non exposées ; après les expériences de la veille, il était si naturel de s'engager sur un tel raccourci, et d'en oublier les marques blanc et rouge ! Nous atteignons Bocca Minuta à 2215m d'altitude vers 9h30, pour découvrir le cirque de la Solitude au-dessus de la vallée de la Cavicchia. Il s'agit du passage le plus redouté du GR20, et nous apercevons effectivement un certain nombre de randonneurs qui y sont engagés. Dommage que l'ensemble du cirque soit à l'ombre à cette heure-ci ! De l'autre côté, nous profitons d'un splendide panorama, avec en enfilade la Grande Barrière, puis Paglia Orba ; si le col de Serra Pianella n'est pas visible, la forme si caractéristique de Capu Scaffone retient bien sûr notre attention ; c'est par là-bas que nous serions en ce moment si notre trek avait été conforme aux prévisions ; de l'autre côté de la vallée du Golo, Punta Artica ne masque que partiellement les reliefs de la Restonica, et plus à droite, Capu a u Tozzu surplombe le lac de Nino qui n'est toutefois pas visible derrière Bocca a Stazzona. A partir de Bocca Minuta, en prenant le cap est, il est facile de progresser, essentiellement sur pierriers vers un petit col une centaine de mètres plus haut, situé sur l'arête sud de Punta Minuta. Une belle surprise nous y attend : Pendant quelques dizaines de secondes, cinq mouflons nous épient du haut de l'arête que nous devons emprunter ; Philippe a le temps de sortir son appareil photo pour les saisir... Le temps que Sophie nous rejoigne, ils s'enfuient tous les cinq sans qu'elle puisse les apercevoir. Nous voilà donc partis sur la trace de ces mouflons sur l'arête qui au début est relativement large, mais qui devient de plus en plus effilée. Vers 2380 mètres, devant une dalle un peu inclinée et exposée, Sophie souhaite s'arrêter et nous attendre... Décidément ce trek sera marqué par des dalles inclinées ! Nous arrivons à la convaincre de continuer, en laissant toutefois son sac à dos sur place ; petite déception car nous devrons redescendre par cet itinéraire, alors que nous avions prévu une descente par la voie normale (passant par Bocca Rossa) que Philippe ne connaissait pas encore. |
Le cheminement devient de plus en plus aérien, avec un vide omniprésent parfois à gauche, parfois à droite, parfois des deux côtés ; on se demande comment on pourra progresser jusqu'à l'extrémité de l'arête mais à chaque instant, on arrive à trouver une voie très facile pour les mètres suivants... Vers 2450 mètres, donc à une centaine de mètres du sommet, Sophie nous annonce qu'elle ne continuera pas, non pas parce que la suite immédiate semble difficile, mais parce qu'elle a du mal à avancer sereinement avec le vide à ses côtés ; d'habitude, les passages aériens ne durent que quelques minutes, mais là cela fait une demi-heure, et manifestement, ce n'est pas fini ! et il ne s'agit pas de vertige puisque la plate-forme où elle s'arrête est fort aérienne... Nous n'insistons pas, et j'en profite pour confier mon sac à dos à Sophie ; je n'emmène que l'appareil photo et le GPS fourrés dans une sacoche que je demande à Philippe de prendre dans son propre sac à dos, ce qu'il accepte volontiers. Lorsque l'arête sud, sur laquelle nous venons d'évoluer, rejoint l'arête sud-ouest en provenance de Bocca Minuta, le cheminement se complique entre petites arêtes et couloirs, mais il est maintenant marqué de cairns, qu'il suffit de repérer. A moins de cinquante mètres du sommet nous atteignons une cheminée dont l'escalade ne semble pas évidente ; je propose à Philippe de m'encorder, mais il refuse gentiment en m'expliquant qu'il la réserve pour la difficulté principale à venir. Effectivement, la cheminée se parcourt facilement... Peu de temps après voici donc cette difficulté : il s'agit d'un mur d'environ six mètres de haut, avec à son pied une plate-forme pas très large, mais suffisante pour stopper une chute éventuelle ; au-delà, c'est le grand vide avec le cirque de la solitude quelques cinq cent mètres plus bas... Je regarde Philippe grimper le mur avec une aisance étonnante ; en y regardant de plus près, de nombreuses prises larges de quelques centimètres sont présentes. Toujours est-il que je suis ravi de pouvoir m'assurer avec sa corde... Je rejoins Philippe, finalement un peu surpris par la facilité de progression qui ne nécessitait donc pas d'habileté particulière ! Pour m'assurer tout à l'heure au retour, Philippe laisse sur place sa corde avec sa sangle bien ancrée autour d'une excroissance rocheuse. Sans autre difficulté, nous atteignons bientôt le versant ouest de Punta Minuta, qui se laisse ensuite gravir sur ses derniers mètres. Nous arrivons enfin au cairn sommital à 11h30, deux heures après avoir quitté Bocca Minuta. Philippe me donne la sacoche avec mon appareil photo, et je commence à prendre de nombreuses photos, en oubliant d'ailleurs de régler l'exposition en automatique...avec des surexpositions en conséquence ! Du haut des 2556m, le panorama est évidemment exceptionnel... nous dominons la Grande Barrière avec à son extrémité Paglia Orba, à sa droite, la vallée de Laoscella et les reliefs reliant Capu Tafonatu et Capu Scaffone, et au loin Capu d'Orto et le golfe de Porto. Voici ensuite la vallée de la Cavicchia menant au golfe de Porto dominé par Capu Tondu ; au nord, la crête menant à Monte Corona en passant notamment par A Muvrella, puis plus à droite la vallée de l'Asco dominée par la ligne de crête menant à Monte Cinto. Je jette un œil particulier sur La Pointe des Eboulis et Capu Falu... Vers le sud, les reliefs sont plus lointains et moins impressionnants, même si je reconnais nombre d'entre eux ; parmi les plus proches, voici par exemple Punta Artica. Le sommet secondaire de Punta Minuta, quelques dizaines de mètres plus au nord serait facile à atteindre par une petite crête aérienne, mais sachant que Sophie nous attend, je n'ai pas trop envie de m'attarder au sommet ! Nous arrivons d'ailleurs à échanger quelques signes avec Sophie assise sur l'arête une centaine de mètres plus bas. Cherchant à regarder notre altitude sur le GPS, je me rends compte que celui-ci n'est pas dans la sacoche ; imaginant alors que je l'ai posé sur un rocher en sortant l'appareil photo, j'explore soigneusement les environs du cairn sommital pour essayer de le retrouver, en vain... Philippe, lui non plus, ne voit rien qui attire le regard parmi les nombreuse pierres qui parsèment le sommet. Je suis relativement inquiet et finis par espérer que je l'ai fourré par erreur dans mon sac à dos resté près de Sophie.. |
Une dizaine de minutes après avoir atteint le sommet, nous entamons la descente. Arrivés au-dessus du mur, bien plus impressionnant encore qu'à la montée, je m'encorde comme prévu, Philippe qui n'a pas trop envie de faire la désescalade avec son sac à dos veut me le confier, mais je lui suggère de le laisser descendre fixé à la corde une fois que je serais descendu, ce qu'il accepte. Je retrouve assez vite mes marques et j'arrive sans trop de difficultés sur la petite plate-forme au bas du mur ; ensuite c'est le tour du sac à dos, puis celui de la corde, et enfin voici Philippe qui redescend, toujours avec une belle aisance. Voilà de nouveau la cheminée qui se négocie aussi bien à la descente qu'à la montée, puis le parcours un peu chaotique mais bien cairné. Nous retrouvons Sophie, une heure et demi après l'avoir quittée... Je lui demande aussitôt si mon GPS ne serait pas resté dans mon sac à dos ; la réponse est non. Je suis maintenant très inquiet lorsque Philippe a une petite idée : et s'il était tombé de la sacoche à l'intérieur même de son sac à dos ? Il fouille et... le voilà en effet au fond du sac ! Ouf de soulagement, car les traces du trek et des balades précédentes auraient également été perdues. Prochaine étape, à nouveau à trois : retrouver le sac à dos de Sophie le long de l'arête, ce qui ne devrait pas être bien difficile. Une dizaine de minutes plus tard, le voilà effectivement... Nous pourrions déjeuner ici, mais tout le monde préfère retrouver un environnement plus débonnaire sur le petit col une petite centaine de mètres plus bas. Un peu après 13h, nous voilà donc installés au petit col pour un pique-nique bien mérité. Durant le repas, les nuages s'accumulent derrière la Grande Barrière, exactement comme hier, alors qu'il n'y en avait pas à midi... Si hier, nous n'avions pas perdu autant de temps à avec cette dalle inclinée, nous y serions sans doute en ce moment même, en plein brouillard... J'en conclus qu'aidés par le sort, nous avons bien fait de modifier nos projets ! J'essaie ensuite de voir avec mon téléphone portable si du réseau est disponible, c'est le cas et j'en profite pour appeler la météo corse. Comme prévu, pas de souci pour aujourd'hui, mais demain en fin d'après-midi des orages pourraient éclater. Je me demande quel pourrait être le programme du lendemain compte tenu de la météo ; il faudra partir tôt, et ne rentrer pas trop tard... Et si plutôt que de redescendre dans la vallée, nous passions une nuit supplémentaire à Tighiettu ? nous pourrions alors rejoindre Calacuccia à pied par le vallon de la Crucetta, Punta Crucetta, le lac de Cinto, puis la vallée de l'Erco ? Philippe ne semble pas trop motivé par ce trajet bien moins alpin, et nous décidons assez rapidement de nous quitter ici avec un rendez-vous pour une journée en Cagne en fin de semaine. Philippe rejoindra ainsi cette après-midi sa voiture restée sur la piste de Calasima, alors que Sophie et moi passerons une seconde nuit au refuge de Tighiettu puis rallierons demain le couvent de Calacuccia où notre voiture est garée. Nous remercions encore Philippe pour ces deux journées qu'il nous a totalement consacrées, et le laissons rejoindre tout seul le GR20, à un rythme bien plus rapide que le nôtre. Vous retrouverez son récit de ces deux jours sur son blog Corse sauvage. Nous quittons notre petit col un peu plus tard, peu après 14 heures pour retrouver une heure et demi plus tard le refuge et notre tente, encore montée. Nous trouvons le gardien pour régler la nuit supplémentaire et acheter quelques provisions pour le dîner et les repas du lendemain. Maintenant, nous avons tout notre temps pour nous reposer. Deux cabines de douche se trouvent sous le bâtiment, et celle-ci sont bien chaudes, car l'eau est captée à grande distance et acheminée par un tuyau noir bien exposé au soleil. Bien évidemment, plusieurs personnes font la queue pour la douche, ce qui est l'occasion de discussions parfois passionnées autour de la table à proximité. Après une demi-heure, quelqu'un nous fait remarquer qu'une des deux cabines est occupée depuis fort longtemps... en fait elle était libre ! Un des randonneurs arrivé depuis le col de Verghio est un peu inquiet : alors qu'il avait eu un empêchement de dernière minute, ses compagnons s'étaient lancés à Calenzana sur le GR20 trois jours auparavant ; après avoir doublé l'étape depuis Carrozu, ils devaient le retrouver aujourd'hui, ici même. ... Il n'avait aucune nouvelle d'eux depuis le départ, et il ne faut pas compter sur le téléphone portable dans ce secteur ! Son interrogation des personnes présentes ne donne bien sûr aucun résultat, et nous ne saurons pas où et quand ils se sont retrouvés ! Quant à nous, nous faisons partie des rares originaux qui ne pouvaient répondre par oui ou non à la question sur le sens dans lequel nous parcourions le GR20 ! J'ai également dû passer pour un inconscient pour un des randonneurs, car je lui ai emprunté une carte pour visualiser un peu le parcours prévu le lendemain, qui plus est hors sentiers balisés ! Nous n'avions en effet pas emmené la carte du coin, puisque nous devions évoluer de l'autre côté de la Grande Barrière. Nous finissons notre journée par un dîner et un coucher de bonne heure, car nous avons décidé de nous lever tôt demain matin pour pouvoir atteindre Calacuccia avant les éventuels orages de l'après-midi. |
Pour ce dernier jour, l'itinéraire ne devrait pas poser de problème particulier, dans la mesure où il combine deux parcours semi-classiques : D'une part quelques randonneurs du GR20, au lieu de franchir le cirque de la Solitude réalisent le trajet Asco, Monte Cinto, Punta Crucetta, Tighiettu, une très longue étape d'ailleurs ; d'autre part, la descente de Monte Cinto via le lac de Cinto et le vallon de l'Erco est une alternative intéressante que nous avions d'ailleurs déjà réalisée 11 ans auparavant, avec nos enfants. Nous n'envisageons pas le crochet par le sommet de la Corse, ne serait-ce qu'à cause des risques d'orage durant l'après-midi, et nous nous contenterons de Punta Crucetta, ce qui devrait permettre d'arriver à Calacuccia relativement tôt dans l'après-midi. Dès que nous entendons s'affairer les plus matinaux des campeurs, nous nous extirpons de notre minuscule tente alors qu'il fait encore nuit. Après un petit déjeuner, et la préparation de nos sacs à dos bien plus lourds que la veille, nous voilà partis à 7 heures, peu après le lever du soleil qui commence à éclairer les sommets de la Grande Barrière. Nous empruntons le GR20 sur une centaine de mètres, avant de le quitter par un sentier bien marqué qui s'enfonce dans le vallon de Crucetta. A ce moment, nous nous faisons interpeller par d'autres randonneurs qui nous expliquent que nous nous trompons... Intention fort louable d'ailleurs, car les gens qui parcourent le GR20 n'ont pas l'habitude d'en voir d'autres sortir de leur itinéraire, volontairement... Dans un premier temps, nous longeons sur plusieurs centaines de mètres le tuyau noir destiné au captage de l'eau pour la refuge. Hier dans l'après-midi, il était au soleil, ce qui nous a permis de bénéficier d'une douche bien chaude. Inutile en revanche d'en espérer autant en début de journée, pour ceux qui sont encore au refuge. Nous devrions d'ailleurs rester à l'ombre pratiquement jusqu'à Punta Crucetta vue l'orientation de la vallée, ce qui n'est pas pour nous déplaire, car la température est idéalement douce. Après avoir quitté le tuyau de captage, le sentier se transforme progressivement en trace, mais un nombre conséquent de cairns évite toute difficulté d'orientation. Assez rapidement nous laissons à notre gauche la voie normale de Punta Minuta, que nous avions initialement prévue d'emprunter hier au retour, puis le trajet commence à louvoyer entre zones herbeuses, et dalles rocheuses sous les contreforts de Punta Rossa puis Capu Larghia. Notre progression est même facilitée par un couple de randonneurs qui balise l'itinéraire en amont. Nous les rattrapons doucement et finirons d'ailleurs par les dépasser lors d'une de leur pause. Nous avons nous-mêmes été dépassés par un trailer, un adepte de la marche rapide en montagne que nous ne verrons d'ailleurs que durant quelques minutes. Avant d'atteindre le pierrier terminal en contrebas de la ligne de crête, le cheminement est agréable, fort varié avec quelques contournements de barres rocheuses étonnement faciles vue leur ampleur. La perspective du pierrier à venir est moins alléchante, mais en fait il est moins long qu'il n'y paraît et suffisamment stable pour ne pas glisser en arrière à chaque pas. Vers 9h30, nous arrivons sur la crête, non loin de Bocca Crucetta Suprana côté à 2456 mètres d'altitude. |
La vue sur le lac de Cinto deux cent mètres plus bas est remarquable. Bien entendu, comme sur tout col qui se respecte, il y a un vent soutenu, mais nous trouvons facilement un petit emplacement en surplomb du lac bien à l'abri du vent, et au soleil, ce qui nous permet de profiter d'une pause bien méritée. J'essaie ensuite de déterminer la meilleure façon de rejoindre le bord du lac. Une descente directe par les dalles bien inclinées semble être une option, mais compte tenu des expériences des deux journées précédentes, elle ne me paraît pas opportune, d'autant plus qu'en essayant de tester le début de la descente, je ne m'y sens moi-même pas particulièrement à l'aise. J'arrive en revanche à identifier des traces sur le pierrier sous les dalles provenant du nord de Punta Crucetta. Ce sera sans doute la meilleure option. Le couple que nous avions dépassé, des tchèques, nous rejoignent un peu plus tard, et nous en profitons pour nous échanger mutuellement un petit service de photographe. Un peu plus tard, nous voilà repartis derrière eux en direction de Punta Crucetta, une cinquantaine de mètres plus haut. A peine un peu au-delà du sommet, des cairns marquent effectivement un passage relativement raide sur rochers, permettant de rejoindre le grand pierrier du lac du Cinto. Alors que les tchèques remontent ce pierrier sur la trace principale en direction de la pointe des Eboulis, nous bifurquons à droite pour rejoindre le cheminement repéré tout à l'heure. Le pierrier est raide et instable ; si la descente ne pose pas de problèmes, pourvu qu'on imagine avoir des skis à la place des chaussures (qui ne doivent pas apprécier...), la remontée doit être particulièrement pénible, et je la déconseillerais fortement. Sophie est particulièrement à l'aise au cours de cet exercice, et elle arrive au bord du lac avec une bonne avance : pendant que je la rejoins, et alors qu'il fait bien chaud sur ce versant exposé au soleil depuis le matin, Sophie tente une séance de rafraîchissement dans le lac, mais l'eau ne montera pas au-dessus des genoux... Je me sens à mon tour obligé de faire mieux, mais sans grande réussite non plus, avec l'eau à mi-cuisses peut-être ! Il est vrai qu'il reste un petit névé dans le couloir sous Capu Falu, ce qui explique peut-être la fraîcheur du lac, malgré la fin de saison. Lorsque nous y étions passé avec nos enfants 11 ans auparavant, à mi-juillet, les névés atteignaient presque le bord du lac. Nous quittons le lac , non pas par son exutoire, mais par un itinéraire dans un impressionnant chaos rocheux marqué par de nombreux cairns ; Sophie n'en revient pas que nous soyons passés parmi ces blocs avec les enfants en bas-âge... Le parcours reste bien au-dessus de l'Erco, en rive gauche, et va même rejoindre puis longer un de ses affluents. C'est en arrivant près de ce ruisseau, et d'une petite cascade que nous décidons de faire notre pause déjeuner, bien à l'ombre d'un rocher, il est en effet midi passé... Encore quelques passages sur rochers, avec un cheminement sans grande difficulté, avant de rejoindre aux alentours de 1800 mètres le sentier bien marqué au milieu de zones herbeuses qui permet d'atteindre rapidement le refuge de l'Erco. Le refuge n'est plus gardé, comme il l'était lors de notre premier passage en 1998, et en ce début septembre, on ne peut que constater son état lamentable à l'intérieur, comme d'ailleurs à l'extérieur, avec une zone de détritus attenante au bâtiment annexe. Le captage d'eau ne laisse échapper qu'un très faible débit, ce qui nécessite un peu de patience pour remplir sa gourde. Dommage de laisser de telles installations à l'abandon, d'autant plus qu'il se trouve sur une des deux principales voies d'accès de Monte Cinto ! Nous croiserons d'ailleurs deux groupes qui veulent y passer la nuit avant l'ascension du sommet de la Corse. Nous quittons le refuge vers 13h30, en franchissant l'Erco, en remontant quelque peu sur les contreforts de Capu di Vila, avant de descendre sur le parking, à l'extrémité de la piste menant à Calacuccia. Nous avions réussi à l'atteindre en véhicule de type berline en 1998, mais cela n'est pas possible en 2009, d'après ce qui m'a été rapporté. En tout cas, aujourd'hui il va falloir descendre de quelques 800 mètres supplémentaires pour rejoindre notre véhicule et notre camp de base près de Calacuccia, ce qui nécessitera deux heures de marche. Chaque lacet de la piste est court-circuité par un sentier dont le départ est marqué par un cairn, et la descente avec en contrebas, le lac de Calacuccia, n'est pas désagréable. Aux alentours du camping de Lozzi (là ou il faut garer son véhicule pour se rendre à Monte Cinto), nous trouvons d'excellentes mûres en guise de goûter... Encore un peu moins d'une heure sur une petite route qui dessert les hameaux d'Acquale et de Lozzi, avant de rejoindre autour de 16 heures le couvent Saint François notre lieu d'hébergement. |
Le bilan : trois jours de randonnées, dont seule la première demi-journée fut conforme aux prévisions initiales... Je n'aurais jamais imaginé revenir au point de départ par la route d'accès à Monte Cinto ! Un superbe parcours, avec finalement comme seul point négatif l'abandon de Sophie au cours de l'ascension de Punta Minuta, le point d'orgue du trek. Et la météo, elle était un peu pessimiste : finalement pas de développement orageux... mais les prévisions les reportent au lendemain après-midi : il va encore falloir prévoir une balade pas trop longue pour demain ! Et pour un autre regard sur le Niolo, consultez donc ici la description de la visite de ce secteur par un botaniste, en 1908... |