Lors de nos séjours au sud de la corse en 1999, 2000 et 2001, nous aurions pu tenter quelques excursions en Cagne, à commencer par l'Uomo di Cagna, mais je dois bien avouer que cette perspective ne me tentait que moyennement, étant bien plus focalisé par les alentours de Bavella... En 2007, en discutant avec Philippe, avec qui nous avons organisé des treks puis en explorant son blog Corse Sauvage, j'ai commencé à entrevoir l'intérêt que pouvait présenter la découverte de la Cagne... pas assez toutefois pour chercher à m'associer à un trek de plusieurs jours que Philippe a organisé au printemps 2009... Une occasion se présente à la fin de notre séjour 2009 : Philippe nous propose une journée découverte en Cagna, en compagnie d'Eckard... J'accepte de suite cette proposition, guidé par ce grand spécialiste de cette région, comme le montre cette citation extraite de son site : « Pour des raisons inexplicables, j'adore presque autant la Cagne que le Filosorma, alors que les deux ambiances sont fondamentalement différentes... » |
Notre balade débute aux environs du hameau de Naseo, et pour y arriver sans encombre, il est conseillé de commencer par jeter un il sur l'itinéraire d'accès via les hameaux de Pruno, Tarrabucetta, Vallicelo (à moins de charger sur votre GPS cette trace enregistrée). Depuis la D859 entre Porto Vecchio et Figari, comptez donc 45 minutes sur la D22 puis sur une bonne piste pour rallier Naseo quelques huit cent mètres plus haut. Durant ce trajet, on bénéficie de beaux points de vue sur l'extrémité sud de la Corse, et sur l'aéroport de Figari. Nous garons notre voiture au virage situé à 150 mètres avant le hameau de Naseo auquel nous rendons une visite rapide avant notre départ. La première partie du parcours s'effectue sur un excellent sentier, qui permet notamment d'accéder à l'Uomo di Cagna, cette énorme pierre en forme de tête qu'on aperçoit depuis de nombreux points du sud de la Corse. Après un parcours en forêt relativement plat, nous atteignons une zone de végétation basse au-dessus de Bocca di Tonnari. Nous bénéficions d'une première vue sur les crêtes de Cagna avec à l'extrémité sud-est l'Uomo di Cagna, et plus près de nous, Punta di Monaco, Punta d'Ovace, Monte Tignoso, tous présentés en fin connaisseur par Philippe. Celui-ci est un peu inquiet à cause des nuages qui accrochent les sommets avec peut-être du brouillard là-haut, assez fréquent paraît-il. Pour ma part je suis plutôt confiant, car le vent souffle fort, il fait frais et aucune perturbation n'est prévue pour la journée. Arrivés au col de Tonnari, le point bas de notre parcours, Philippe nous explique comment il avait déjà essayé, sans succès à cause du maquis, de monter directement sur le versant opposé, juste au-dessus de la plaine d'Ovace, un des objectifs de notre journée. Sans essayer de rééditer son expérience, nous continuons par la voie moins directe sur notre excellent sentier. Nous remontons en pente régulière vers Barba Porca, une petite clairière dans laquelle se niche un abri caché par des ronces. Elles nous empêchent certes d'entrer dans l'abri, mais nous offrent en échange un festin d'excellentes mûres. C'est maintenant que commencent les choses plus sérieuses car le sentier se transforme en trace cairnée. Une bonne centaine de mètres plus haut, une zone sans végétation nous offre une vue intéressante sur la clairière de Barba Porca, le col du Monaco, Punta Monaco et plus loin sur l'Uomo di Cagna. Un peu plus tard, nous nous retrouvons devant un lit de galets géants, de un ou deux mètres de diamètre, qui coupent le flanc de la montagne sur une vingtaine de mètres de large. La traversée nécessite quelque attention et ressemble plutôt à un saut d'obstacles, certes bien moins difficile que ce que nous avons rencontré lors de quelques balades des jours précédents. Après avoir retrouvé la trace cairnée de l'autre côté des galets géants, Philippe nous conduit à une source bien cachée au pied d'une petite barre rocheuse. Son débit est très faible, mais nous en profitons tout de même pour remplir une gourde. Maintenant, la forêt devient de plus en plus épaisse, et les traces de plus en plus ténues, comme dans certains contes pour enfants ; nous suivons Philippe aveuglement, alors que le GPS enregistre méthodiquement notre trace, en y semant ses cairns virtuels qui vont plus tard se démultiplier en se logeant dans des disques durs, puis dans les mémoires d'autres GPS... Ces cairns virtuels ont une fâcheuse manie de se promener autour de leur lieu de résidence, mais ils ne s'en éloignent jamais bien loin ; généralement quelques mètres tout au plus. Ceux qui habitent près d'une paroi rocheuse sont bien plus agités, et on les retrouve parfois à quelques dizaines de mètres de leur domicile ! A condition d'intégrer leurs petites manies, les cairns virtuels vous permettront, de trouver plus facilement les lignes des vrais cairns et surtout de ne pas vous perdre dans un secteur où l'orientation est réputée extrêmement difficile ! Attention toutefois de ne pas tomber en panne de batteries... Deux heures après notre départ de Naseo, voici enfin la plaine d'Ovace... En forme de croissant long de quelques cinq cent mètres, cette petite « plaine « bien horizontale est entourée de sapins et de nombreux amoncellements de blocs rocheux. Des massifs de bruyère alternent avec des herbes basses et de rares arbustes. Nous voilà plongés dans cet environnement sauvage, insolite et reculé ; il mérite à lui seul la balade. Aujourd'hui, la plaine est asséchée, mais Philippe nous explique que d'habitude, cette zone est très humide, spongieuse, avec des ruisselets et des trous d'eau, ce qui la rend difficile à traverser à pied sec. Philippe nous fait ensuite découvrir en lisière de la plaine, bien cachée par des sapins, la grotte bergerie d'Ovace, en fait un bel abri sous roche. |
Il n'est pas encore midi, nous ne sommes pas particulièrement fatigués, et Philippe nous propose de descendre aux bergeries d'Apaseu pour le pique-nique. Nous voilà donc repartis dans un environnement encore plus chaotique entre forêt dense, petites clairières, empilements de blocs rocheux... je me demande vraiment comment Philippe arrive à trouver son chemin... et pourtant nous avançons bien, et moins d'une demi-heure plus tard, nous arrivons en bordure d'une vallée composée de ces galets gigantesques... En arrivant à un petit col, nous découvrons une vue splendide sur les reliefs au nord de la Corse ; nous soupçonnons Eckard d'avoir des visions quand il nous dit reconnaître Paglia Orba, pour vérifier immédiatement que c'est bien ce sommet qui émerge de la brume à plus de 85 km d'ici... A partir de ce petit col, nous évoluons entre des blocs, sur le versants ouest d'un vallon bien marqué, ce qui rend l'orientation bien plus facile ; il faut tout de même évoluer avec beaucoup de précautions, car la végétation cache de temps en temps des pièges, par exemple des trous dans le sol avec des gamelles éventuelles à la clé... Après avoir perdu une centaine de mètres nous voilà à 1150 mètres d'altitude sur le petit plateau d'Apaseu, avec devant nous les édifices de la bergerie dans un site étonnement gazonné. En avançant de quelques mètres vers l'ouest, un col nous propose une belle vue, certes un peu brumeuse sur la côte sud-ouest de la Corse. Le golfe de Propiano est bien visible, et nous devinons même Capu di Muro. Le vent s'est bien calmé depuis ce matin, mais on prend vite froid dans le courant d'air du col, et pour le pique-nique, nous nous réfugions en un endroit bien abrité du vent, juste en face de la bergerie. Tant pis pour la vue sur la côte, mais le spectacle offert par les rochers aux formes bizarres est bien plus original et laisse une grande place à l'imaginaire... Une tête par ci, une tortue par là, des gravures naturelles sur les rochers... |
Après le repas, Sophie et Eckard ont envie d'un peu de farniente, alors que Philippe et moi-même avons des fourmis dans nos jambes pour continuer à découvrir le secteur. Pour ma part, j'ai repéré un petit sommet isolé ; il est côté 1265m sur la carte, et ne semble pas présenter de difficulté d'accès, la végétation étant assez basse... Philippe pour sa part trouve sans doute l'objectif trop facile, et préfère continuer à chercher au milieu des chaos rocheux des alignements de cairns qu'il ne connaît pas encore. Nous convenons de partir chacun avec son objectif propre, avec un retour programmé une heure plus tard ; pour ma part je ne pourrai pas me perdre, car en plus du GPS, je resterai en vue de la bergerie, quant à Philippe, nous avons suffisamment confiance dans sa connaissance du terrain... Me voilà donc en route vers ce que je crois être le sommet 1265, mais n'est en fait qu'une antécime un tout petit peu plus basse. Elle a toutefois l'avantage de surplomber le lac du barrage de l'Ortolo, alors que celui-ci est caché depuis le sommet 1265m qui se trouve 50 mètres plus à l'est. Le tour d'horizon y est fort intéressant : depuis Monte Incudine au nord et les reliefs de Bavella, on peut suivre la ligne de crête qui mène en Cagne, vers l'est les reliefs semés des chaos rocheux un peu plus haut (deux sommets à 1343m) barrent la vue sur la côte ; vers le sud-sud-est, juste au-dessus des pelouses de la bergerie d'Apaseu, Punta d'Ovace est un sommet bien marqué avec ses 1340 mètres ; voici ensuite la côte entre le secteur d'Erbaju et Capu di Muro en passant par le golfe de Propriano ; entre le nord ouest et le nord, voici les principaux sommets de Corse, et notamment Paglia Orba, Punta Minuta, Monte Cinto, Monte Rotondo , Monte d'Oro, Punta alla Vetta, Monte Renoso, et enfin le plateau de Cuscione qui permet notamment d'accéder à Monte Incudine De retour à la bergerie avec une dizaine de minutes d'avance, je retrouve Sophie et Eckard, et en attendant Philippe, nous en profitons pour commenter à nouveau les formes bizarres de certains rochers aux alentours... Philippe ne tardera pas à arriver, mais il n'a pas dû faire de nouvelles découvertes méritant une exploration plus poussée... |
Vers 14h30, nous reprenons le cap de la plaine d'Ovace ; une fois de plus Philippe nous guide de façon magistrale sur le chemin que nous avions emprunté à l'aller, à l'exception d'une petite erreur... Je suis fier de lui annoncer que mon GPS indique qu'il s'est fourvoyé ! En fait nous sommes sans doute engagés dans une variante sur laquelle il s'était déjà fait piéger ; si c'est le cas, elle rejoint la plaine d'Ovace un peu plus à l'ouest. Le terrain permet facilement de rejoindre par un virage à droite notre cheminement emprunté à l'aller, ce qui nous évitera donc toute galère. Nous retrouverons la plaine un peu après 15 heures. Philippe nous propose de la parcourir vers l'ouest puis de tenter d'atteindre un col belvédère sur la côte est, ce que nous acceptons volontiers... A l'ouest de la plaine, avant d'emprunter le vallon qui monte en pente douce vers ce col, il faut se frayer un passage dans de la végétation un peu haute ; nous y parvenons sans trop de difficulté. Avant d'arriver au col, il faut franchir un muret surmonté de fil de fer barbelé : la plaine d'Ovace et ce vallon auraient-ils servi d'enclos pour des moutons ? Derrière le muret, la mare de quelques mètres de long que nous avait promise Philippe est bien là, mais elle est à sec... et à peine plus loin, voici donc près de Monte Tignoso le belvédère sur la côte est. Nous reconnaissons le port de Porto Vecchio, Punta di a Chiappa, les îles Cerbicale ; vers le sud, le secteur de Bonifacio est dans la brume, et on y distingue à peine le contour de la côte ; les reliefs de la Sardaigne émergent en revanche de cette brume. Sous nos pieds, voici Bocca à Tonnari, et le sentier qui mène à Naseo, ce hameau également bien visible depuis ce belvédère. Philippe ne nous propose pas une descente directe vers Bocca di Tonnari via le maquis, mais suggère quand même un raccourci, qui selon des informations en provenance d'autres spécialistes du secteur, permettrait de rejoindre l'itinéraire aller au niveau de la source. Nous redescendons donc le petit vallon vers la plaine d'Ovace, mais au lieu d'emprunter cette dernière pour contourner un sommet côté 1301m, nous allons tenter de passer sur le versant sud du sommet. Quelques cairns sont effectivement présents, le cheminement, parfois sur des blocs rocheux, est un peu plus aérien, et un ou deux passages nécessitent un minimum d'attention... Quelle surprise de retrouver dans cette jungle, l'itinéraire de l'aller exactement à la source, comme on l'avait indiqué à Philippe ! Il n'est pas nécessaire de faire le plein d'eau, nous n'en avons pas consommé beaucoup, compte tenu de la température frisquette de la journée, bien inhabituelle pour ce début de mois de septembre. Nous voilà donc sur nos traces de l'aller, avec quelques minutes plus tard la traversée du lit de galets géants... Voici à nouveau une vue dégagée sur l'Uomo di Cagna, en contre-jour maintenant, puis l'arrivée à Barba Porca, où un second festin de mûres nous attend ! Encore une petite heure sur un excellent sentier via Bocca di Tonnari pour retrouver la voiture après 8 heures de balade. Nous retournons au hameau de Naseo qui est désert, comme il l'était ce matin ; des anciennes bergeries y ont été restaurées et servent de résidence de week-end pour quelques habitants de la région. L'éclairage en cette fin de journée, bien meilleur qu'en matinée nous invite à prendre quelques photos de ces bergeries rénovées, et de l'Uomo di Cagna, qui se détache en contre-jour au-dessus des arbres. |